lundi 24 novembre 2014

Ukraine et roulette russe

Personnellement, je trouve que les textes de Pepe Escobar sont très difficiles à traduire. Dommage, sinon je le traduirais plus souvent car combien de fois ai-je dû renoncer devant la complexité de la tâche.
Pepe Escobar
Pepe Escobar
J'ai à peu près réussi à traduire celui-ci qui, en outre, me paraît important pour comprendre ce qui se passe en Ukraine et vis-à-vis de la Russie.

Pepe Escobar considère que les visées américaines sur l'Ukraine poursuivent deux objectifs : le premier est de faire pièce au projet eurasiatique porté par la Russie et la Chine, un projet d'une portée économique et politique considérable dans lequel les pays européens auraient vocation à prendre une place éminente. Mais pas les Etats Unis !

Le deuxième objectif est purement et simplement de parvenir à un changement de régime à Moscou, seul obstacle à une domination totale du vieux continent par les Etats Unis.
Un article important qui nous amène à examiner avec un regard plus aiguisé ce qui se joue à l'est de l'Europe.

Washington joue à la roulette russe

par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong) 23 novembre 2014 traduit de l'anglais par Djazaïri

Ce sont des heures sombres. J'ai eu une discussion sérieuse avec certaines sources et certains interlocuteurs très bien placés – ceux qui savent mais ne ressentent pas le besoin de se montrer et privilégient la discrétion. Tous sont profondément inquiets. Voici ce que l'un d'entre eux, un chargé de planification stratégique, m'a envoyé :
L'attaque propagandiste contre Poutine qui est comparé à Hitler est si virulente que vous devez comprendre que les Russes n'arrivent pas à en croire leurs oreilles et ne peuvent plus faire confiance aux Etats Unis sous aucun prétexte.
Vladimir Poutine
Vladimir Poutine
Je n'arrive pas à comprendre comment nous avons pu nous retrouver dans une situation où nous protégeons les pillards dont Poutine aurait débarrassé l'Ukraine, et comment nous avons pu avoir le culot de placer au sommet du pouvoir un des pires voleurs. Mais c'est fait. Ce qui est certain, c'est que la MAD [mutually assured destruction ,destruction mutuellement assurée] n'est plus dissuasive aujourd'hui quand chaque camp croit que l'autre utilisera l'arme nucléaire dès lors qu'il aura l'avantage et que le camp qui obtient un avantage décisif s'en servira. C'en est fini désormais de la MAD.

Cela peut sonner quelque peu extrême – mais c'est un corollaire parfaitement logique de la descente vers ce que le président russe a laissé entendre dans sa déjà légendaire interview avec la chaîne allemande ARD à Vladivostok la semaine dernière : l'Occident pousse la Russie vers une nouvelle Guerre Froide.

Mikhail Gorbatchev a affirmé il y a quelques jours que la nouvelle Guerre Froide avait déjà commencé. Stephen Cohen de l'université de Princeton considère que la Guerre Froide n' en fait jamais cessé. Le Roving Eye [la rubrique de Pepe Escobar dans Asia Times] parle de Guerre Froide 2.0 depuis plusieurs mois. Les Britanniques – qui restent bloqués sur le nouveau Grand Jeu du 19ème siècle – préfèrent déblatérer sur la « personnalité toxique et obstinée » du « nabot Poutine » ; il est l'homme « impitoyable, charmeur et en définitive imprudent » qui « a remis en vogue la Guerre Froide, » Comme on pouvait s'y attendre, le Council of Foreign Relations déplore la fin du monde post-Guerre Froide, pourfend le « désordre » actuel et rêve des beaux jours de la domination sans partage.

Pour avoir un bon éclairage détaillé sur la façon dont nous en sommes arrivés à cette situation périlleuse, il est difficile de trouver mieux que Vladimir Kozin de l'Institut Russe d'Etudes Stratégiques. Lisez le avec attention. Et oui, c'est la Guerre Froide version 2.0, le remixage du double problème : entre les Etats Unis et la Russie et entre l'OTAN et la Russie.
Vladimir Kozin
Vladimir Kozin
Voir rouge

Dans son entretien accordé à ARD, Poutine s'en est tenu aux faits sur le terrain : « L'OTAN et les Etats Unis ont des bases militaires disséminées partout dans le monde, y compris dans des zones proches de nos frontières, et leur nombre augmente. En outre, tout récemment, il a été décidé de déployer des forces d'intervention spéciales, une fois encore à proximité immédiate de nos frontières. Vous avez mentionné divers exercices [militaires russes] ; des mouvements de la marine, de l'aviation etc. Est-ce que tout ça va continuer ? Oui, bien sûr. »

Pour les hordes qui diabolisent la Russie, il est toujours commode d'oublier que l'expansion de l'OTAN vers la Géorgie et l'Ukraine a été convenue lors d'une réunion de l'OTAN à Bucarest en avril 2008. L'opération géorgienne avait connu un échec retentissant à l'été 2008. Le processus est en cours pour l'Ukraine.

Dans un passage très important de l'entretien avec ARD, Poutine a aussi dit à la coalition des vassaux/marionnettes/irresponsables que la Russie pouvait faire tomber le château de cartes ukrainien en un éclair ; Moscou a seulement à insister sur le fait que le temps est venu de recouvrer les énormes sommes d'argent qui lui sont légalement dues [par l'Ukraine].

Poutine a aussi fait savoir clairement qu''il ne permettra pas – et c'était catégorique : nous ne permettrons pas – que le Donsbass soit envahi/écrasé/nettoyé ethniquement par Kiev : « Aujourd'hui, il y a des combats dans l'est de l'Ukraine. Le pouvoir central ukrainien a envoyé les forces armées sur place et elles utilisent même des missiles balistiques. Est-ce que quelqu'un en parle ? Pas un seul mot. Et qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce que ça nous dit ? Cela nous amène au fait que vous voulez que les autorités centrales ukrainiennes anéantissent tout le monde là-bas, tous leurs adversaires et opposants politiques. C'est ce que vous voulez ? Nous ne le voulons certainement pas. Et nous empêcherons que ça arrive. »

Selon les propres chiffres de Kiev, pas moins de 65 % des immeubles d'habitation et 10 % des écoles et des jardins d'enfants du Donsbass ont été détruits. Plus de 40 000 moyennes entreprises sont paralysées. Le taux de chômage – sur l'ensemble de l'Ukraine – est supérieur à 40 %. La dette extérieure a peut-être atteint 80 milliards de dollars et n'imaginez pas que le Fonds Monétaire International (FMI) qui possède maintenant l'Ukraine va verser dans la philanthropie. Et surtout, Kiev ne peut pas payer les milliards de ses factures de dollars à Gazprom parce qu'il dépense une fortune pour terroriser les citoyens de l'est de l'Ukraine. Cette diatribe de Poroshenko résume tout – avec l'entière complicité des Etats Unis et de l'Union Européenne (UE).
L'Ukraine en novembre 2014
L'Ukraine en novembre 2014
Donc, l'OTAN a été avertie des lignes rouges tracées par la Russie. Pourtant, des secteurs non négligeables parmi les élites de Washington/Wall Street ne peuvent se lasser de la guerre. Et ils l'aiment chaude. On ne devrait jamais sous-estimer la stupidité sans bornes des morts vivants néoconservateurs qui sont de retour dans leur tribune préférée, la page d'éditorial du Wall Street Journal.

La « logique » derrière la Guerre Froide 2.0 – qui fonctionne maintenant à plein – se fiche pas mal de la stabilité en Europe. L'administration Obama l'a lancée – avec l'OTAN comme fer de lance – pour en réalité empêcher l'intégration eurasiatique en construisant un nouveau mur de Berlin à Kiev. L'objectif immédiat est d'affaiblir l'économie russe ; à long terme, le changement de régime en Russie serait le bonus ultime.

La logique de l'escalade est donc en marche. La dévastation économique de l'UE n'est rien ; la seule chose qui compte pour les Etats Unis, c'est l'OTAN – et l'écrasante majorité de ses membres sont à la remorque, partageant l'état d'esprit à Washington qui consiste à traiter Poutine comme s'il était Milosevic ; Saddam Hussein ou Kadhafi. Aucun signe n'indique que l'équipe d'Obama souhaite une désescalade. Et quand Hillarator [impératrice Clinton] montera sur le trône, tous les paris seront ouverts.

dimanche 23 novembre 2014

Le soutien des Etats Unis et du régime sioniste à al Qaïda en Syrie

Dans la guerre livrée au régime syrien, à l'Iran et au Hezbollah, les Occidentaux utilisent des stratégies complexes aux effets parfois imprévus, d'autant qu'elles ne font pas forcément toujours consensus en Occident même où leur mise en œuvre dépend des rapports de forces entre les gens, disons raisonnables, et les néoconservateurs.
Ces néoconservateurs, ainsi que l'expliquait Robert Parry, restent très présents dans l'appareil politico-militaire des Etats Unis et leur poids peut être très important dans un pays comme la France où ils se cachent aussi derrière de nobles idéaux humanitaires, alors que la seule chose qui leur importe est le sort du régime sioniste.
Dans ces pays occidentaux qui mènent une guerre non déclarée à la Syrie, on feint de s'étonner de la présence sur le terrain de combattants « djihadistes » dont les noms et prénoms évoquent parfois plus le camembert que le leben.
Le "djihadiste" français Abou Mariam exhibe la tête tranchée d'une résistante kurde
Le "djihadiste" français Abou Mariam exhibe la tête tranchée d'une résistante kurde
Mais qu'y a-t-il de surprenant à voir de jeunes Français répondre à l'appel au meurtre du chef de l'Etat syrien lancé par Laurent Fabius, l'actuel chef de la diplomatie française ?

De la même manière, on ne sera pas surpris de voir en Syrie les puissances occidentales soutenir des forces officiellement affiliées à al Qaïda même si les choses sont quelque peu obscurcies par les bombardements exécutés par les USA et leurs alliés arabes contre certaines forces djihadistes en Syrie.
Le blogueur Moon of Alabama nous aide à mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain et dans les officines de Washington : une partie des forces djihadistes est entrée en conflit avec les intérêts de Washington en s'attaquant notamment au Kurdistan irakien où l'armée américaine entretient une base, Cette confrontation était à tel point inattendue que le gouvernement turc, allié de l'Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daesh) a eu du mal, et a toujours du mal, à modifier son positionnement stratégique à l'égard de cette puissante milice.
Ce qui est important dans l'article que je vous propose, c'est surtout ce fait que l'aviation américaine bombarde le Jabhat al-Nosra, une importante milice affiliée à al Qaïda, dans le nord syrien tandis qu'elle soutient la même milice au sud du pays dans la région proche du Golan occupé par l'entité sioniste et la frontière jordanienne. L'objectif des Etats Unis n'est donc pas de détruire cette milice mais d'en écarter les éléments rétifs à une alliance avec eux sur le terrain.
Et c'est sans doute le même objectif qui est poursuivi avec les frappes contre l'Etat Islamique en Irak et au Levant.

Comment les Etats Unis et Israël aident al Qaïda dans le sud de la Syrie

par Moon of Alabama (USA) 21 novembre 2014 traduit de l'anglais par Djazaïri
Quand l'administration Obama a déclaré avoir bombardé le « groupe Khorasan » dans le nord syrien, les spécialistes se sont demandés ce que cela voulait dire. Il n'existait et il n'existe aucune organisation de ce nom. Ce que l'administration Obama appelait groupe Khorasan était des dirigeants du Jabhat al-Nosra, la branche syrienne d'al Qaïda qui était active en Afghanistan et au Pakistan il y a quelques années avant de venir en Syrie. Alors pourquoi faire une distinction enre le Jabhat al-Nosra qui est actif dans toute la Syrie et un groupe dirigeant de la même organisation situé dans le nord de la Syrie ?
Mon sentiment est qu'il existe une coopération active entre le Jabhat al-Nosra et les Etats Unis, particulièrement dans le sud syrien, et que la distinction a été faite pour maintenir en place une forme quelconque d'alliance dans le sud. Les mercenaires de l'Armée Syrienne Libre dans le sud de la Syrie ont été entraînés et armés par la CIA en Jordanie et sont contrôlés depuis une salle d'opérations multinationale quelque part à Amman.
Dans le sud, le Jabhat al-Nosra combat activement aux côtés de l'Armée Syrienne Libre qui reçoit aussi un soutien d'Israël. Au cours de ces derniers mois l'ASL, avec les combattants d'al-Nosra comme troupes de choc, s'est emparée de portions importantes de territoire le long de la frontière de la Syrie avec la Jordanie et Israël. Leur but est, ainsi que nous l'avions signalé il y a deux mois, d'ouvrir un corridor vers Damas. Leurs avancées au détriment de l'armée syrienne dans la zone frontalière ont été réalisées avec l'appui des tirs de soutien de l'artillerie israélienne.
Reuters confirme aujourd'hui que Nosra, comme nous l'écrivions, est à la pointe des combats dans le sud :
Des combattants du Front al-Nosra affilié à al Qaïda et d'autres insurgés ont attaqué et fait uen brève incursion à Baath City dans le sud de la Syrie jeudi, le dernier bastion important de l'armée dans une province qui jouxte les hauteurs du Golan sous occupation israélienne.
…...
Des centaines de combattants d'al-Nosra qui ont fui la province orientale de Deir al-Zor après en avoir été chassés par l'Etat Islamique dans le courant de cette année se sont regroupés dans le sud de la Syrie où ils ont renforcé la présence rebelle dans ce secteur, selon es activistes.
« Il [ce renfort] a permis aux combattants de prendre le dessus dans cette zone, » déclare Abou Yahia al-Anari, un combattant d'Ahrar al-Sham.
...
Les gains des insurgés depuis le début de cette année ont principalement été obtenus par le Front al-Nosra en association avec d'autres rebelles et brigades islamistes qui combattent en alliance avec l'Armée Syrienne Libre soutenue par l'Occident. A la différence des rebelles qui combattent dans le nord, ils se sont bien coordonnés jusqu'à présent.
Au nord, le Jabhat al-Nosra combat des groupes de mercenaires soutenus par la Turquie et les Etats Unis. Au sud, il coopère par contre avec ce genre de groupes qui sont soutenus, équipés et entraînés par les Etats Unis à partir de la Jordanie et d'Israël. Al-Nosra au nord a été rebapptisé « groupe Khorasan » de sorte à ce qu'on puisse le bombarder sans mettre en danger l'alliance au sud entre l'Armée Syrienne Libre et le Jabhat al-Nosra.
Les combattants de Nosra dans le sud utilisent bien entendu des ermes et d'autres équipements que les unités de l'Armée Syrienne Libre reçoivent de la CIA et d'autres services secrets. Ces groupes combattent ensemble et partagent naturellement leurs ressources.
En octobre, un mois après que j'ai signalé les opérations dans le sud, le Washington Institute, une pièce du lobby sioniste aux Etats Unis, a reconnu ces plans et a exhorté à plus de soutien d'Israël et des Etats Unis sur le front sud. Il minimisait bien sûr sciemment la participation d'al-Nosra.
Une assistance coordonnée dans le sud de la part des Jordaniens, des Israéliens et des alliés pourrait permettre de renforcer les rebelles syriens modérés dans cette région, d'éviter une prise de contrôle par les extrémistes et faciliter la campagne en cours contre l'Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Pour l'instant, l'essentiel du soutien israélien aux bataillons locaux modérés et non islamistes le long de la frontière s'est borné à une aide humanitaire, tels les soins apportés à 1 4000 Syriens malades et blessés dans des hôpitaux israéliens, la fourniture de médicaments, de nourriture et de moyens de chauffage à des villageois etc. Certains groupes rebelles sont en contact constant avec l'armée israélienne, avec par exemple de fréquentes réunions secrètes qui se tiendraient à Tibériade, mais seule une petite quantité d'armes leur a été fournie, essentiellement des lance-roquettes.
Les opérations dans le sud n'ont rien à voir avec l'EIIL qui reste peu présent dans le sud, mais sont exclusivement dirigées contre l'armée syrienne, le gouvernement syrien et la population de Damas. Les combats sont conduits, comme l'a reconnu Reuters aujourd'hui, par des miliciens du Jabhat al-Nosra et un soutien américain et israélien est apporté aux groupes locaux de l'Armée Syrienne Libre qui sont étroitement alignés avec al-Nosra.
Les Etats Unis et Israël sont certainement au courant ce ce que Reuters rapporte et que nous avions affirmé auparavant. Ils ont armé et continuent à armer des groupes qui coopèrent étroitement et partagent avec al Qaïda leurs ressources obtenues auprès d'Israël et des Etats Unis.

mercredi 12 novembre 2014

Mur de Berlin, mur de la honte?

Un article qui apporte un éclairage pour moi inédit sur les circonstances qui ont abouti à la construction du fameux « mur de la honte » à Berlin. Ce mur séparait des gens qui ne différaient que sur le plan du régime politique sous lequel ils vivaient, à l'exclusion de considérations ethniques ou religieuses. Par ailleurs, il n'empiétait sur le territoire de personne et n'interdisait pas complètement l'établissement de citoyens d'un côté ou de l'autre de la frontière. 

L'autre mur de la honte érigé en Palestine occupée empiète sur le territoire reconnu comme devant revenir à un futur Etat palestinien, sépare des gens qui sont concrètement administrés par le même Etat, administration civile d'un côté du mur, militaire de l'autre. Une partie de la population de la partie occupante est par ailleurs autorisée à s'établir dans le territoire de la population occupée, dispose de ses propres routes et a un statut différent de la population occupée.

A côté, le mur de Berlin c'était le mur du respect.
A l'est, il faut compter avec la proximité de l'Alaska (USA) et du Japon
A l'est, il faut compter avec la proximité de l'Alaska (USA) et du Japon
Quand on lit cet article et qu'on voit ce qui se passe aujourd'hui avec l'encerclement de la Russie, qui n'est plus communiste, par les puissances de l'OTAN, on se dit qu'il y a là matière à réflexion. Une réflexion que le président russe Vladimir Poutine a té obligé de faire à la lumière des événements en Ukraine, lui qui vient de dire ne pas voir ce qu'il y avait de mal dans le pacte Molotov-Ribbentrop conclu en 1938  entre l'Union Soviétique et l'Allemagne nazie.
Sinon, comment expliquer que le même Vladimir Poutine avait condamné, de manière nuancée certes, ce pacte en 2009? 

Le Mur de Berlin, un autre mythe de la Guerre Froide

par William Blum, Counter Punch (USA) 22 octobre 2014 traduit de l'anglais par Djazaïri

Le 9 novembre marquera le 25ème anniversaire de la démolition du Mur de Berlin. Le battage extravagant a débuté il y a plusieurs mois à Berlin. Aux Etats Unis, on peut s'attendre à voir débités tous les clichés sur le Monde Libre contre la tyrannie communiste avec la répétition de l'histoire toute simple sur la construction du mur : en 1961, les communistes de Berlin Est avaient édifié un mur pour empêcher leurs citoyens opprimés de fuir vers Berlin Ouest et la liberté. Pourquoi ? Parce que les cocos n'aiment pas que les gens soient libres, apprennent la « vérité ». Quelle autre raison sinon ?

Tout d'abord, il faut rappeler qu'avant la construction du mur en 1961, des milliers d'Allemands de l'est faisaient la navette quotidiennement pour aller travailler à l'ouest et rentraient à l'est dans la soirée ; beaucoup d'autres allaient et venaient pour faire des emplettes ou pour d'autres raisons. Ils n'étaient donc évidemment pas retenus contre leur gré à l'est. Alors pourquoi le mur a-t-il été construit ? Il y avait deux grandes raisons :

1) L'Occident affaiblissait l'Est avec une vigoureuse campagne de recrutement en Allemagne de l'Est de professionnels et d'ouvriers qualifiés qui avaient été formés aux frais du gouvernement communiste. Ce qu a fini par aboutir à une grave crise de l'emploi et de la production dans l'Est. Comme indication de cela, le New York Times rapportait en 1963: «Berlin-Ouest a souffert économiquement du mur par la perte d'environ 60 000 ouvriers qualifiés qui faisaient tous les jours l'aller-retour entre leur domicile à Berlin-Est et leur lieu de travail à Berlin-Ouest."

Il est à noter qu'en 1999, USA Today rapportait que: «Lorsque le mur de Berlin s'est écroulé [1989], les Allemands de l'Est imaginaient une vie de liberté où les biens de consommation étaient abondants et où les difficultés s'estomperaient Il est remarquable que dix ans plus tard, un 51% des Allemands de l'est disent avoir été plus heureux avec le communisme." Des sondages antérieurs auraient probablement montré plus que 51% exprimant un tel sentiment étant donné qu'en dix ans beaucoup de ceux qui se souvenaient vie en Allemagne de l'Est avec une certaine tendresse étaient décédés; pourtant, encore 10 ans plus tard, en 2009, le Washington Post pourrait écrire: «[les Occidentaux à Berlin] disent qu'ils en ont assez de la tendance de leurs compatriotes de l'Est de ressasser avec nostalgie l'époque communiste."

C'est dans la période post-unification qu'un nouveau proverbe russe et européen de l'Est est né: «Tout ce que les communistes disaient sur le communisme était un mensonge, mais tout ce qu'ils disaient à propos du capitalisme s'est trouvé être vrai."
Il convient de noter en outre que la division de l'Allemagne en deux Etats en 1949 - ouvrant la voie aux 40 ans d'hostilité de la guerre froide - était une décision américaine, pas soviétique.

2) Dans les années 1950, les combattants américains de la guerre froide en Allemagne de l'Ouest avaient lancé une campagne brutale de sabotage brut et de subversion contre l'Allemagne orientale dans le but de dérégler machine économique et administrative de ce pays. La CIA et d'autres services de renseignements américains dont ceux de l'armée recrutaient, équipaient, entraînaient et finançaient des individus et des groupes d'activistes allemands de l'Ouest et de l'Est, pour mener des actions dont l'éventail allait de la délinquance juvénile au terrorisme; tout pour rendre la vie difficile à la population de l' Allemagne de l'Est et affaiblir leur soutien au gouvernement; tout ce qui pouvait donner une mauvaise image des cocos.

Ce fut une entreprise remarquable. Les Etats-Unis et leurs agents recouraient aux explosifs, aux incendie criminels, aux courts-circuits, et à d'autres méthodes pour endommager les centrales électriques, les chantiers navals, les canaux, les quais, les bâtiments publics, les stations d'essence, les transports publics, les ponts, etc; ils faisaient dérailler des trains de marchandises, blessant grièvement des travailleurs; faire brûler 12 wagons d'un train de marchandises et détruire les tuyaux d'air comprimé des autres; utiliser acides pour endommager des machines vitales dans l'industrie; mettre du sable dans la turbine d'une usine pour la mettre à l'arrêt; mettre le feu à une usine de production de tuiles; promouvoir le ralentissement de l'activité dans les usines; tuer 7.000 vaches d'une laiterie coopérative par empoisonnement; ajouter du savon au lait en poudre destiné aux écoles d'Allemagne orientale; des personnes étaient en possession, lors de leur arrestation, d'une grande quantité de cantharidine, une substance toxique avec laquelle il était prévu de fabriquer des cigarettes empoisonnés pour tuer des leaders est-allemands; placer des boules puantes pour perturber des réunions politiques;essayer de perturber le Festival mondial de la jeunesse à Berlin-Est en envoyant de fausses invitations, de fausses promesses de gîte et de couvert, de faux avis d'annulation, etc .; mener des attaques contre les participants avec des explosifs, des bombes incendiaires et de matériel pour crever les pneus; imprimer et distribuer de grandes quantités de fausses cartes de rationnement alimentaire pour causer de la confusion, des pénuries et du ressentiment; envoyer de faux avis d'imposition de faux et d'autres faux documents et directives du gouvernement pour favoriser la désorganisation et l'inefficacité dans l'industrie et les syndicats ... tout cela et bien plus encore.

Le Woodrow Wilson International Center for Scholars, de Washington, DC, un centre conservateur de combattants de la guerre froide, observe dans un de ses documents de travail pour une histoire internationale de la guerre froide (#58, p.9) : « La frontière ouverte à Berlin exposait la RDA [Allemagne de l'Est] à un espionnage massif et à la subversion et, comme le montrent deux documents en annexe, sa fermeture a apporté une plus grande sécurité à l'Etat communiste. »

Tout au long des années 1950, les Allemands de l'Est et l'Union soviétique ont à plusieurs reprises déposé des plaintes avec les anciens alliés des Soviétiques auprès des Occidentaux et des Nations Unies au sujet précisément de ces activités de sabotage et d'espionnage et avaient appelé à la fermeture des bureaux [d'ONG] en Allemagne de l'Ouest qui revendiquaient les actions, et pour lesquelles ils avaient fourni noms et adresses. Leurs plaintes restaient lettre morte. Inévitablement, les Allemands de l'Est ont commencé à freiner les entrées dans le pays en provenance de l'Ouest, conduisant finalement au mur tristement célèbre. Cependant, même après la construction du mur, l'émigration légale de l'est vers l'ouest restait courante quoique limitée. En 1984, par exemple, l'Allemagne de l'Est avait permis à 40.000 personnes de quitter le pays. En 1985, les journaux est-allemands affirmaient que plus de 20 000 anciens citoyens qui s'étaient installés à l'Ouest voulaient rentrer chez eux après avoir perdu leurs illusions sur le système capitaliste. Le gouvernement ouest-allemand avait signalé que 14 300 Allemands de l'Est étaient rentrés au cours des 10 années précédentes.

N'oublions pas non plus que tandis que l'Allemagne de l'Est était complètement dénazifiée, plus de dix ans après la guerre, de nombreux anciens nazis occupaient à l'ouest des postes de très haut rang dans les branches exécutives, législatives et judiciaires du pouvoir

On doit enfin se souvenir que l'Europe orientale était devenue communiste parce que Hitler, avec l'approbation de l'Occident, s'en était servi comme boulevard pour atteindre l'Union Soviétique et balayer le bolchevisme pour toujours, et que les Russes ont perdu environ 40 millions de personnes parce que l'Occident a utilisé ce boulevard pour attaquer la Russie. On ne devrait donc pas être surpris si, après la seconde guerre mondiale, l'Union Soviétique était déterminée à fermer ce boulevard.

Pour une vision complémentaire et très intéressante de l'anniversaire du Mur de Berlin, consultez l'article « Humpty Dumpty and the Fall of Berlin's Wall » de Victor Grossman. Grossman (né Steve Wechsler) avait déserté de l'armée américaine en Allemagne sous la pression des menaces de l'ère McCarthy et était devenu journaliste et écrivain pendant ses années vécues en République Démocratique Allemande (Allemagne de l'Est). Il réside toujours à Berlin d'où il publie à un rythme irrégulier sa lettre électronique, le « Berlin Bulletin » sur la situation en Allemagne. Vous pouvez y souscrire à wechsler_grossman@yahoo.de. Son autobiographie : « Crossing the River : a Memoir of the American Left, the Cold War and Life in East Germany » a été publiée par l'University of Massachusetts Press. Il affirme être la seule personne au monde à être diplômée à la fois de Harvard et de l'université Karl Marx à Leipzig.
William Blum
William Blum
William Blum est l'auteur de Killing Hope: U.S. Military and CIA Interventions Since World War II, Rogue State: a guide to the World’s Only Super Power . Son dernier livre est: America’s Deadliest Export: Democracy.

mardi 4 novembre 2014

Le pouvoir syrien repose sur une base majoritairement musulmane sunnite

Un article intéressant sur la situation en Syrie qui relève en passant ce fait important (et évident) que les Musulmans sunnites sont la principale assise du pouvoir de Bachar al-Assad.

La Syrie d'Assad, amputée, malmenée – mais intraitable.

Par Diaa Hadid, The Big Story (Associated Press) 2 novembre 2014 traduit de l'anglais par Djazaïri

Tartous, Syrie – Les hommes d'affaires syriens repartent de zéro après la destruction de leurs magasins et de leurs usines. Des familles qui ont perdu leurs maisons peinent à louer de nouveaux logements et à joindre les deux bouts. Le long des autoroutes qui s'étirent à travers les zones contrôlées par le gouvernement se trouvent les ruines de villes auparavant contrôlées par lé rébellion et aujourd'hui parsemées de points de contrôle.

La Syrie sous contrôle gouvernemental est tronquée dans ses dimensions, malmenée et appauvrie. Mais elle fait face, soulignant la manière dont le président syrien Bachar al-Assad s'est accroché au pouvoir malgré une rébellion armée qui essaye de le déboulonner depuis près de quatre ans.

Des visites la semaine dernière dans la capitale Damas et dans la région côtière de Tartous, un bastion du soutien au gouvernement, montrent à quel point les Syriens se sont adaptés à la vie dans ce pays tronqué. Les immeubles administratifs sont entourés d'épaisses barrières peintes en rouge, noir et blanc, les couleurs du drapeau syrien. Les portraits d'Assad sont partout :en soldat, en homme d'affaires et en père de famille.

Après des années de reculs et d'avancées, le régime gouverne Damas et une bande de territoire à l'ouest de la région de la côté méditerranéenne dans laquelle se trouvent les plus grandes villes de Syrie ainsi que certaines zones au sud de la Capitale. Les rebelles tiennent quelques banlieues dans la campagne qui entoure Damas et des parties du nord-ouest. L’État Islamique extrémiste a imposé son pouvoir sur un territoire qui recouvre un tiers de la Syrie et de l'Irak voisin.

La guerre est toujours présente. Le bruit persistant des bombardements dans les zones proches tenues par les rebelles est le fond sonore de Damas.

Les checkpoints sont omniprésents sur les routes, souvent des abris en béton ornés de posters d'Assad découpés en forme de cœur. Les soldats se reposent sur une literie usée.
« Auriez-vous une cigarette, monsieur ? » demande optimiste un soldat à un chauffeur.

Les milices locales pro-gouvernementales veillent aussi sur les villes et les quartiers, apportant leur aide à une armée d'Assad dont les forces sont tendues.

Des hommes moustachus armés de fusils d'assaut sautent dans des voitures à l'entrée qu quartier historique de Bab Touma à Damas. Ce quartier majoritairement chrétien est une des cibles favorites des tirs de mortiers en provenance du quartier voisin de Khobar tenu par les rebelles. Les militants anti-Assad accusent certaines milices pro-Assad d'être plus brutales que les soldats et affirment qu'ils exigent des pots de vin et qu'ils volent des voitures.

Quand on quitte Damas, le revêtement de l'autoroute est bon, comme cette partie de la route fraîchement goudronnée. Non loin, se trouvent les ruines de la ville de Nabak dont les habitants s'étaient révoltés contre Assad au début du soulèvement. Le jaune de la grande roue du parc de loisirs de Nabak est délavé.

On lit sur un graffiti non loin, « Assad pour l'éternité. » Un autre proclame : « Je t'aime Lulu ».
Carte politique de l'Irak et de la Syrie aujourd'hui (attention, de vastes zones désertiques sont attribuées à une des parties, ce qui n'a guère de sens)
Carte politique de l'Irak et de la Syrie aujourd'hui (attention, de vastes zones désertiques sont attribuées à une des parties, ce qui n'a guère de sens)
On ne sait pas avec précision combien de Syriens vivent dans les zones respectivement contrôlées par le gouvernement et par les rebelles, étant donné le bouleversement démographique dans un pays où près de la moitié de la population a fui son domicile. Des zones auparavant dominées par des minorités fidèles à Assad, comme la région littorale de Tartous, majoritairement alaouite, ont vu la typologie de leur population changer avec l'accueil de quelque 350 000 personnes déplacées, en majorité des Musulmans sunnites.
Cela aura en définitive un effet à long terme : il sera difficile au régime d'Assad de se tailler un bastion alaouite comme certains de ses détracteurs l'accusent de le faire – ce que les responsables du gouvernement contestent.

Cela met aussi en lumière le fait que les Sunnites, qui sont le groupe confessionnel majoritaire dans le pays, forment la principale assise du pouvoir d'Assad, alors même que la rébellion est dominée par des Sunnites. Les minorités, comme les Alaouites, les Chiites et les Chrétiens soutiennent généralement le gouvernement ou sont restées neutres.

Parmi les déplacés, se trouvent un prédicateur musulman, Mustafa Shihi et sa femme, Faten Shaar qui ont fuit vers une ville de la province de Tartous après que des rebelles ont incendié leur usine pharmaceutique. Sobhi explique que les rebelles de sa ville d'origine, Alep au nord du pays, l'ont puni parce que son fils Majed était dans l'armée. Majed a été tué en mars de l'année dernière.
L'autre fils de Sobhi vent maintenant des sandwiches devant une université locale. Les biens de cette famille de la classe moyenne-supérieurs ont été détruits dans la guerre, mais ils sont sains et saufs à Tartous, déclare Sobhi.
« Nous devons être comme une seule main, » dit-il assis à côté de son épouse sur un mince matelas posé sur le sol,l'unique mobilier de l'appartement. Un grand portrait de son fils tué en uniforme de l'armée et un autre faisant l'éloge d'Assad sont fixés au mur.

Parmi les déplacés, figurent des commerçants sunnites d'Alep, qui était le poumon économique du pays. Certains ont ré-ouvert leurs entreprises à Tartous mais à une échelle réduite.
Tartous: manifestation de soutien au président Assad (2011)
Tartous: manifestation de soutien au président Assad (2011)
Mohammed Jallad, un fabricant de fours, a fui quand les combats se sont intensifiés dans son quartier à Alep. Sa maison et son entreprise ont été détruites dans les bombardements.
Un prêt lui a permis de rouvrir une affaire à Tartous, partageant un espace d'activité industrielle avec quatre autres Alépins. Il dort dans un coin au dessus de ses fours pour économiser de l'argent.

Le prix de location de son local commercial a triplé en deux ans avec l'augmentation de la demande par des personnes déplacées. Alors qu'il faisait travailler 15 ouvriers à Alep, il n'en emploie plus que deux.
Jallad dit qu'il ne veut pas fuir à l'étranger, par crainte de subir le sort des quelque 3 millions de réfugiés syriens qui vivent en majorité dans des conditions misérables.
« Je voulais travailler, alors où aurais-je pu aller ? La situation à l'étranger est humiliante, » dit-il.

En luttant pour s'en sortir, les Syriens se sont adaptés à la réalité.

Taghrid, brodeuse à Damas, dit avoir envoyé son fils en âge d'être incorporé dans l'armée en Égypte pour éviter la conscription, ce que beaucoup de familles ont fait.

« Puisse Dieu le protéger, » dit-elle devant la grande mosquée des Omeyyades à Damas. Elle n'a donné que son prénom par crainte de mettre son fils en danger.

Les services de l’État existent toujours, quoique de manière décousue. Les travailleurs touchent leurs salaires même si la monnaie locale se déprécie. Il y a toujours de l'électricité même si les coupures de courant sont la routine. Les soins restent gratuits quoique les habitants disent que l'attente est longue car des médecins abandonnent leur poste.

« Le gouvernement syrien tient et se cramponne à l'unité et à l'intégrité territoriale de la Syrie. Et c'est pour nous une affaire sacrée, » affirme la conseillère d'Assad Bouthaina Shaaban.

La vie suit son cours pour les Syriens riches. Cafés et restaurants sont à moitié remplis, leurs propriétaires arguant du fait que la reprise des études par les jeunes a réduit leur affluence. Des hommes d'affaires ont ouvert un centre de loisirs et un centre commercial à Damas et un centre commercial sur sept étages à Tartous.

Au centre commercial Malki à Damas, une pancarte annonce une compétition de selfies. Dans le centre commercial presque vide de Tartous, l'investisseur Ali Naddeh fume une pipe à eau et dit que les boutiques vont bientôt ouvrir.

« C'est une époque d'opportunités, » dit-il.