mardi 12 février 2013

Vers une sortie de crise négociée en Syrie?


Les choses bougent sur le plan politique en Syrie. On a pu s’en rendre compte avec l’offre de dialogue formulée par le chef de la coalition d’opposition (au nom à rallonge). Cette offre de dialogue est certes loin de faire l’unanimité dans les rangs de la dite coalition mais il est clair qu’une partie de cette alliance hétérogène si ce n’est hétéroclite craint que n’éclate au grand jour son inexistence sur le plan militaire.

Contrairement à ce qui se dit, cette offre n’a pas été rejetée par le gouvernement syrien, mais ce n’est pas vraiment de la presse française que vous l’apprendriez même si le Nouvel Observateur fait allusion au signal adressé par un ministre Syrien et si Le Monde est un peu plus disert sans non plus le mettre en évidence.

Cette disponibilité au dialogue manifesté par le gouvernement syrien n’est citée qu’incidemment au milieu de ce qu’on nous présente comme de nouvelles victoires de l’opposition armée qui se serait emparée d’un grand barrage sur l’Euphrate, d’une base aérienne près d’Alep et menacerait la ville «stratégique» de Deir Ez Zohr. Si on n’en finit pas de découvrir que tel ou tel site est stratégique (‘key’ en anglais) , c’est la deuxième fois qu’on nous annonce la prise d’un aérodrome militaire et la première fois qu’on parle de la prise d’un barrage comme d’un véritable fait militaire (ah si, ils pourront couper l’eau à Alep).

Jonathan Steele consacre un assez long article à la démarche d’ouverture du régime syrien qui s’incarne de la manière la plus visible dans la personne d’Ali Haidar. Si on prête attention à ce que dit M. Haidar, on comprend que le régime syrien d’aujourd’hui n’est plus tout à fait celui du début des troubles qui ont saisi le pays et qu’il recèle en son sein des forces désireuses d’avancer en matière d’ouverture politique.
Le ministre Syrien Ali Haidar
Le ministre Syrien Ali Haidar
Restent des aspects sur lesquels le régime ne semble toujours pas prêt à transiger comme l’exigence du départ de l’actuel chef de l’Etat formulée par l’opposition armée (et le club des «amis» de la Syrie) ou celle du gouvernement pour que, après une phase préliminaire à l’étranger, les discussions se déroulent en territoire syrien.

A ce propos, le gouvernement syrien se dit prêt à respecter la liberté de mouvement des opposants qui accepteraient de rentrer au pays. Une liberté de mouvement qui pourrait sans difficulté être garantie par certains amis de la Syrie comme l’Iran ou la Russie…

On verra si les autres "amis" de la Syrie prendront le gouvernement syrien au mot.

Ali Haidar soulève la perspective d'élections libres en réponse changement surprise de la ligne soutenue par le chef de la Coalition nationale syrienne
Par Jonathan Steele à Damas
The Guardian (UK) 11 février 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Le gouvernement syrien est prêt à envoyer un ministre à l'étranger pour des entretiens avec Moaz al-Khatib, le chef de la Coalition nationale syrienne d’opposition, qui a récemment plongé la rébellion dans une tourmente politique en se prononçant en faveur d'un dialogue avec le régime.

"Je suis prêt à rencontrer M. Khatib dans n'importe quelle ville étrangère où je peux aller pour discuter des préparatifs d’un dialogue national", a déclaré au Guardian Ali Haidar, le ministre de la réconciliation nationale. Ses propos ont été la réponse la plus positive donnée pour l’instant par le gouvernement syrien au changement surprise de ligne politique par le chef de l'opposition.

Les exilés et les groupes armés qui leur sont affiliés ont affirmé depuis longtemps qu’ils ne discuteraient jamais avec le régime sauf si Bachar al-Assad quittait d’abord ses fonctions. La volte face du leader de l’opposition a été sévèrement critiquée par certains de ses collègues parce que la charte de l’opposition stipule qu’elle ne parlera pas avec le régime d’autre chose que de son départ.

En expliquant le but du dialogue national, Haidar a soulevé la perspective d'une véritable compétition électorale pour un parlement multipartite et pour l’accès à la présidence lorsque le mandat d'Assad expirera l'année prochaine.

"Le dialogue est un moyen de proposer un mécanisme pour aboutir à des élections législatives et présidentielles libres. C'est l'un des sujets qui seront abordés à la table [de discussion]. Ce genre de chose pourrait être le résultat des négociations, mais pas une condition préalable", a-t-il dit. "Nous rejetons un dialogue qui consiste simplement à ce qu’une partie remettre le pouvoir à une autre."

Assad a proposé des discussions avec les dirigeants de l'opposition lors d’un discours prononcé le mois dernier. Mais il avait semblé exclure tout contact avec la Coalition nationale syrienne, qui a été mise sur pied sous la pression des États-Unis, de la Turquie et du pression du Qatar à Doha l'été dernier comme une tentative d'unification des groupes d'opposition disparates.

“Avec qui devons-nous mener le dialogue? Ceux qui véhiculent une pensée extrémiste et ne croient à rien d’autre que le sang, le meurtre et le terrorisme ? Devrions-nous parler avec des bandes qui reçoivent leurs ordres de l’étranger et rejettent le dialogue parce qu’ils considèrent que le dialogue fera échouer leurs plans qui visent à affaiblir la Syrie ?» avait déclaré Assad.
La bombe politique de Khatib est intervenue trois semaines plus tard, suscitant un débat dans les cercles du pouvoir syrien. Ces derniers ont aussi noté les révélations de la semaine dernière sur le rejet par Barack Obama de recommandations du Pentagone et du Département d’Etat pour armer l’opposition. Les Etats Unis ont depuis manifesté leur appui à l’initiative de Khatib et on spécule à Damas sur le fait qu’elle était coordonnée à l’avance avec Washington.

L’offre par Haidar de rencontrer le chef de l’opposition est évidemment conçue pour empêcher l’initiative de Khatib d’être étouffée par les résistances de ses collègues rebelles. Haidar a observé que comme les autres ministres du régime, il était sous le coup de sanctions qui lui interdisent l’entrée dans l’Union Européenne, mais il a indiqué que Genève était un lieu possible pour des conversations préliminaires. «mais nous maintenons que le véritable dialogue national doit prendre place sur le sol syrien parce que c’est une question de dignité syrienne,» a-t-il ajouté.

Il a reconnu que les politiciens exilés craignaient d'être arrêtés s'ils retournaient en Syrie. En annonçant son évolution en faveur de négociations, Khatib a exigé du gouvernement qu’il renouvelle les passeports de tous les Syriens qui sont à l'étranger afin qu'ils cessent d'être apatrides. Haidar a déclaré que le ministère de la Justice avait déjà commencé à prendre des mesures pour annuler les poursuites contre les Syriens à l'étranger.

"Le ministère de l'Intérieur a accepté d'assouplir sa politique et de leur donner tous les documents nécessaires pour leur retour et à les laisser entrer sur le territoire, même s’ils en sont dépourvus. Je ne veux fermer la porte à aucun membre de l'opposition qui a des inquiétudes. Personnellement, j’invite tout le monde à revenir et je leur garantis l’accès et le départ en toute sécurité, si c'est ce qu'ils veulent ", a déclaré Haidar.

Il a expliqué que le nouvel élan vers des négociations est venu non seulement du changement dans la  ligne politique de Khatib, mais aussi d'un changement dans le climat régional et international, ainsi que du fait de l'impasse militaire. «Il ya des extrémistes des deux côtés, mais 80% des gens de chaque camp ont compris qu’aucune victoire militaire n’est possible. Je suis en contact par téléphone avec certains dirigeants de l'Armée Syrienne Libre et ils avaient l'habitude de dire:« Nous serons à Damas d’ici quelques jours», mais aujourd'hui, ils disent:« Nous avons découvert que la communauté internationale nous utilise et travaille pour ses propres intérêts et nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas vaincre l'armée syrienne, »a-t-il dit.

En dépit de l’apparente disponibilité du gouvernement syrien à parler avec des représentants de l’opposition armée, des divergences subsistent quant aux modalités d’une éventuelle transition.  La Russie, les Etats Unis et plusieurs autres acteurs importants dont la Grande Bretagne et la France se sont entendus à Genève en juin sur un aspect qui est la nécessité de désigner un gouvernement de coalition qui comprendrait des membres de l’opposition ainsi que des membres du régime actuel et qui aurait «l’ensemble des pouvoirs exécutifs.»
Quand Lakhdar Brahimi, l’envoyé special de l’ONU et de la Ligue Arabe a rencontré Assad en décembre, la question a semblé être un sujet de désaccord. Brahimi avait dit ensuite au Conseil de Sécurité que cela signifiait qu’il n’y aurait aucun rôle pour Assad dans la transition. Ses propos avaient provoqué la colère de Damas où le ministère des affaires étrangères l’avait accusé de «parti pris flagrant» et le journal pro-gouvernemental al-Watan l’avait qualifié de «touriste vieillissant.»

Des membres de son équipe basés à Damas ont essayé de savoir s’il pouvait revenir en Syrie. Interrogé par le Guardian pour savoir si la mission de Brahimi était morte, Haider a dit que non, mais a accusé l’émissaire de ne pas être franc du collier.

“dans ses discussions ici, c’est Brahimi qui disait qu’il était un peu trop tôt pour former un gouvernement.  Son point de vue était que ce n’était pas possible parce qu’il y a beaucoup de factions de l’opposition en exil qui ne sont pas encore prêtes à y participer. Malheureusement, après son départ de Syrie nous avons entendu un autre son de cloche de sa part,» explique Haidar. «Il y avait des contradictions dans ses déclarations qui affaiblissaient sa position à égale distance de tous les Syriens. Nous ne dirons pas que sa mission a complètement échoué mais il doit revenir à sa position initiale à égale distance de tous.»

Le ton conciliant d’Haidar confirme sa réputation de colombe à l’intérieur du régime. En tant que dirigeant du Parti Social-Nationaliste Syrien, un petit parti d’opposition, il était parmi ceux qui avaient publié la déclaration de Damas, un manifeste pour une réforme démocratique et un changement radical, en 2005. Certains d’entre eux avaient été arrêtés et d’autres étaient partis en exil. Il était resté à Damas et avait été nommé ministre en 2011. Il a toujours des divergences avec le régime et à l’occasion du référendum de l’an dernier sur une nouvelle constitution, il était apparu trois fois sur la télévision d’Etat pour appeler les votants à dire non.

En vertu de la constitution, Assad aurait la possibilité de se présenter pour un troisième mandat l’an prochain. Haidar considère qu’Assad devrait se présenter sauf si le dialogue national aboutit à des changements majeurs. «Je n’ai pas personnellement discuté de ça avec le président. Mais la constitution actuelle ne lui interdit pas de se présenter. En tant que citoyen syrien, il en a le droit comme n’importe quel autre citoyen,» a-t-il déclaré.

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