dimanche 20 novembre 2011

Une majorité silencieuse pour Assad en Syrie?


Quand je  réfléchis à ce qui se passe en Syrie, j’ai beau faire tous les efforts possibles et imaginables, je n’arrive pas à me figurer les monarchies du Golfe en train de faire souffler un vent de démocratie sur la Syrie, pas plus que sur l’Egypte, la Tunisie ou la Libye.
Non pas que je pense  par  principe qu’une expression politique s’inspirant même très fortement de l’Islam soit incompatible avec telle ou telle forme de démocratie, mais plus simplement que les courants favorisés par les pétromonarchies ne peuvent être que rétrogrades et sectaires.

Et si j’ai cité dans un même souffle plusieurs pays arabes, cela ne signifie pas non plus que les choses se passent ou vont se passer à l’identique dans ces pays.
Il est en effet inconcevable que la Tunisie évolue de la même manière que la Libye. Pour la bonne raison tout d’abord que ce sont deux pays très différents, l’un (la Libye) ayant encore une forte structuration tribale et l’autre (la Tunisie) étant largement détribalisé. Ce qui a nécessairement des incidences sur la formation du cadre d’expression politique. Et que les élites Tunisiennes sont plus abondantes et, surtout, qu'elles ont un véritable public.

Ensuite, même si  le parti tunisien En Nahda jouit du soutien incontestable  de certaines monarchies, sa base et sa direction sont informés par l’histoire même de leur pays et elles savent ce qu’un peuple qui les a approuvées aux dernières élections ne serait pas prêt à accepter. Les forces politiques en Tunisie sont de plus parvenues à un compromis qui écarte sans doute durablement l’hypothèque d’un extrémisme inspiré et subventionné par le wahhabisme.
Et aucune intervention militaire étrangère n’est venue porter telle(s) ou telle(s) fraction(s) politique(s) au commandement.

Les choses se passent autrement en Syrie  qui, de plus et à la différence de la Tunisie, n’est pas un pays homogène religieusement et, ne l’oublions pas, se trouve quand même aux premières loges devant les régimes sionistes et wahhabite. Ce qui change quand même pas mal de choses.
La Syrie vit en fait une situation qui s’apparente à celle qu’avait connue l’Algérie suite à l’annulation des élections législatives et au coup d’Etat militaire qui avait déposé  (démissionné) le président Chadli Bendjedid
Le Front Islamique du Salut algérien avait la particularité de réunir dans une même organisation des éléments hostiles à tout jeu démocratique et d’autres reconnaissant l’intérêt du pluralisme. Si le premier tour des élections avait donné raison aux seconds, l’annulation du scrutin avait confirmé les premiers dans le refus d’une évolution politique pacifique.
D’où un basculement dans la lutte armée qui dégénérera ensuite dans une longue série de massacres qu’on aurait cependant tort d’attribuer majoritairement ou exclusivement aux «islamistes ».

La Syrie connaît un processus semblable sauf qu’il précède tout processus électoral et que la main de l’étranger y est évidente.
Nous avons eu en effet en Syrie un début de contestation populaire authentique et pacifique (réprimé brutalement par les services de sécurité gouvernementaux) qui voit cependant rapidement l’implication d’éléments armés et bien entraînés qui attaquent policiers et militaires.

Cette présence très précoce d’activistes armés et très efficaces avait été signalée sur ce blog il y a un certain temps.

Ces activistes viennent pour partie de l’étranger et ils sont armés et financés par l’étranger, c’est-à-dire les monarchies du Proche Orient pour l’essentiel.
Leurs intentions ne sont pas et ne peuvent pas être démocratiques car, je me répète, il est impossible que les monarchies du Qatar, d’Arabie Saoudite ou de Jordanie puissent, même en rêve, favoriser quoi que ce soit qui s’apparente à de la démocratie.

Bien sûr, il existe des groupements d’opposants que certains pays comme la Turquie se donnent du mal à organiser. Mais ces groupements sont en fait incohérents et ceux qu’on a mis à leur tête n’ont aucune emprise sur ceux qui jouent la stratégie de la lutte armée avec, si possible, intervention militaire étrangère, ne serait-ce que pour sanctuariser une partie du territoire syrien à partir duquel ils porteraient des coups au pouvoir de Damas.

Si le régime syrien a sans doute fait son temps, je considère personnellement qu’on ne peut rien attendre de bon de gens qui manœuvrent de la sorte. Car s’ils procèdent ainsi, c’est que comme en Libye, ils savent ne pas avoir un soutien suffisant auprès de la population.

L’article que je vous propose vaut ce qu’il vaut (je ne crois pas trop à la liberté de parole des soldats, ni en Syrie ni ailleurs), mais il montre surtout qu’on ne peut à tout le moins exclure l’hypothèse que le gouvernement syrien a, pour des raisons  dont on peut concéder qu’elles ne sont pas forcément bonnes, l’appui d’une majorité silencieuse dans le pays.

Par Angeles Espinosa (envoyée spéciale à Damas)
El Pais (Espagne) 19 novembre 2011 traduit de l’espagnol par Djazaïri
 «Au début, j’ai eu de la sympathie pour la contestation, mais quand j’ai découvert sa nature violente, j’ai changé d’avis,» confie un fonctionnaire Syrien. « Ce régime a commis beaucoup d’erreurs. Mais quel choix nous proposent ceux qui le combattent ? Le chaos ? Les islamistes ? Non merci, je préfère le régime avec tous ses défauts.» C’est une opinion commune dans la ‘majorité silencieuse’, qui comprend certains détracteurs de la dictature de Bachar el-Assad. Cette attitude semble indiquer que la militarisation de l’opposition jour en sa défaveur, mais qu’elle profite aussi à un régime de plus en plus isolé internationalement.
 «Bien sûr que nous avons besoin d’un changement politique. Nous avons besoin de la liberté de la presse, du multipartisme et, par-dessus tout, de transparence pour en finir avec la corruption,» déclare un politologue qui appartient à la minorité druze. Ce dernier craint cependant qu’un « changement radical sans une transition organisée » n’emporte au passage les droits individuels dont ils bénéficient dans une Syrie nominalement laïque (quoique sa législation fasse des concessions à la charia).
 «Sous ce régime, nous pouvons prendre une bière à une terrasse, avoir une petite amie ou afficher notre athéisme sans que personne ne puisse sous faire quoi que ce soit, » affirme-t-il, persuadé que les islamistes, qui s’avèrent être le cœur du Conseil National Syrien (CNS), vont détruire ces avancées. « Je ne me fie pas à leurs promesses et ce qui se passe en Tunisie et en Egypte n’est pas encourageant non plus,»  souligne-t-il. « Après quarante années de dictature, nous n’avons pas de culture politique. Nous avons besoin de créer des institutions avant de faire le changement, » ajoute-t-il.
«Ce que je crains le plus, ce sont les barbus, » insiste le fonctionnaire qui refuse de nous dire son affiliation religieuse « c’est sans importance, je ne suis pas pratiquant »). Les barbus sont les islamistes et ce père de famille est convaincu que ce sont eux qui sont derrière les révoltes et qui les financent. « Ce qui est honteux, c’est que les manifestants sortent des mosquées et que ce soient des imams qui encouragent les gens, » explique-t-il.
La même inquiétude est exprimée par Mayed Nyazi, présidente du mouvement syrien La Patrie qui veut jeter des ponts entre «opposants et loyalistes.»  «Le parti unique est inacceptable, mais l’extrémisme islamique ne cous convient pas, » explique-t-il. Cette femme, qui se présente comme artiste plasticienne et militante sociale » et a été membre du Conseil Provincial de Damas de 2006 à 2007, insiste sur son indépendance à l’égard du pouvoir. « Nous attendons toujours l’agrément officiel, » dit-elle dans le bureau financé par les 50 fondateurs de l’organisation.
L’avocat et militant des droits de l’homme Anwar al Bounny considère que la crainte des islamistes est exagérée. « Je suis Chrétien, et je n’en ai pas peur, » assure-t-il. «Quelque 40 % des Syriens appartiennent à des minorités et 60 % d’entre eux sont Arabes sunnites dont la moitié ne se préoccupe pas de religion. Alors même si tous ceux de l’autre moitié étaient des islamistes et votaient en bloc, ils se pourraient pas nous imposer leur système, » explique-t-il. Il signale qu’en plus, « tous les partis islamistes ont changé de discours et parlent maintenant de société civile et de démocratie parce qu’ils savent que les discours radicaux ne leur rapporteront pas de soutien.»
Cependant, à Homs, baptisée capitale de la révolution, on a commencé à voir des signes inquiétants de vengeances sectaires la chaîne télévisée Dunia a rapporté la mort de 11 travailleurs dans une attaque nocturne contre la camionnette dans laquelle ils circulaient. Un militant des droits de l’homme a confirmé l’incident à Reuters et a fait part de ses soupçons selon lesquels les victimes avaient été choisies pour leur appartenance à la confession alaouite (la secte de la famille au pouvoir).
Mais même sans le facteur islamiste, il existe une crainte du désordre que pourrait générer un soulèvement généralisé. « Ce régime nous a protégés, il nous permet de célébrer nos fêtes et de vivre tranquillement. J’ai peur de ce qui peut arriver, » affirme M., une Chrétienne mariée à un étranger. « Nous avons perdu la sécurité, » affirme de son côté un policier. « Si ce pays va bien, c’est parce que son leader est bien, » déclare le père d’un soldat blessé.
 « Je les comprends. 95 % de ceux qui ont moins de 65 ans n’ont pas connu la liberté. Ils en ont seulement entendu parler et on a toujours peur de l’inconnu, » explique Al Bounni. « Quand le changement se produira, je suis convaincu qu’ils le soutiendront, » dit-il. Selon lui, ce n’est qu’une question de temps. Nyazi pense toutefois qu’il est encore possible d’éviter un basculement dans l’extrémisme  qu’elle perçoit comme imposé du dehors «ce qui compte pour l’occident, ce ne sont pas nos droits mais ses intérêts »). « Il n’est jamais trop tard, » conclut-elle.
Lutter pour le régime
 
Des bandes armées, des bandits, des éléments étrangers… La version officielle de ce qui se passe en Syrie dresse un panorama aux antipodes de ce que dénonce l’opposition. Dans l’impossibilité d’accéder aux zones de conflit, il est risqué de se hasarder à une évaluation mais le directeur de l’hôpital militaire Techrin de Damas, le général Fayçal Hassan, assure que les insurgés ont blessé 4 168 membres des forces de sécurité et tué 600 (bilan au 31 octobre). Voici les histoires de trois des 36 agents admis dans cet établissement.
 
Muhiddin Hanwa, officier des forces de l’ordre, 35 ans. Blessé par balles à la poitrine et aux deux bras le 8 novembre à Abou Kamal (province de Deir ezZohr, à la frontière avec l’Irak. J’avais pour mission de contrôler une voie de circulation pour détecter des charges explosives. Je m’étais rendu sur place avec ma motocyclette quand ils m’ont tiré dessus dans une rue d’Abou Kamal. Quelqu’un me surveillait apparemment, » se souvient Hanwa qui était seul et s’était retrouvé étendu à terre sans que personne ne vienne à son aide. « J’ai appelé avec mon téléphone portable et une ambulance de l’armée est venue. »
 
Rashad Said al Dgesh, sergent de réserve de l’armé, 23 ans. Blessé par balle aux deux jambes le 25 octobre à Kherbet al Joss (province d’Ibleb) à la frontière avec la Turquie. J’ai failli perdre la jambe droite. « Je circulais dans un camion militaire avec mon unité et nous transportions de la nourriture pour nos autres compagnons quand nous avons été surpris par un groupe armé qui nous a attaqués avec des fusils, des lance grenades et des bombes aux cris de Allah ou Akbar. Ils étaient une vingtaine. Ils sont partis, nous laissant pour morts, » se souvient-il. Qui vous a attaqués ? Des gens qui parlaient arabe mais qui n’ont ni religion, ni morale. Ils étaient masqués. » Deux de ses camarades sont morts et, comme lui, cinq autres ont été blessés.
 
Raed Munzer Salum, sous lieutenant des forces de l’ordre, 27 ans, originaire de Homs. Blessé à la jambe gauche par un franc tireur à Harasta. «J’avais été dépêché là-bas avec mon unité  après que quelques habitants aient dénoncé la présence d’hommes armés dans les rues. Nous nous y étions rendus pour les arrêter et ils nous ont tendu une embuscade. Ils m’ont atteint avec une arme si sophistiquée que nous n’en avons même pas pour les forces de police. Comme c’était une zone résidentielle, nous ne pouvions pas riposter sans risquer de blesser des civils, » assure-t-il. « L’occident devrait se souvenir que si en Syrie nous jouissons d’une sécurité que beaucoup de pays nous envient, c’est précisément grâce au peuple et à son président, » dit-il.

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