mercredi 19 octobre 2011

La Turquie et le nouvel ordre au Moyen Orient


Le propos de ce blog n’est pas vraiment de vous livrer mes analyses, ou plutôt mon analyse se lit dans les choix de textes que je vous présente.
Je vous propose donc un texte de Tarık Oğuzlu un professeur Turc de relations internationales qui permet de mieux comprendre la vision qu’a son pays de l’avenir du Proche Orient. L’article est publié dans Zaman, un journal proche du parti actuellement au pouvoir à Ankara.
Je n’ai pas pu résister à la tentation d' exposer les réflexions que m’a inspirées son papier. Ne vous gênez cependant pas si vous préférez aller directement à l’article de Tarık Oğuzlu et vous dispenser de me lire.

L’action de la Turquie au Moyen Orient ou en Afrique du Nord peut sembler déroutante. Et elle l’est car elle tient compte de contraintes multiples liées autant à l’histoire de ce pays qu’à son positionnement au carrefour de plusieurs régions du monde : l’Europe, le Moyen Orient , l’Afrique du Nord et le Caucase.
Ainsi, après s’être opposé à une intervention militaire en Libye, le gouvernement de M. Erdogan a finalement décidé de s’impliquer dans le cadre  de l’OTAN.

Ailleurs, alors que la Turquie avait procédé à un important rapprochement avec l’Iran et la Syrie, les troubles qui agitent ce dernier pays ont entraîné une crise politique majeure entre les deux gouvernements et tendu par ricochet les relations avec l’Iran. Le feu vert donné par les autorités d’Ankara à l’installation sur leur sol d’un bouclier antimissiles de l’OTAN a accentué la brouille avec le gouvernement iranien.
Et pour corser le tout, le gouvernement turc, mécontent du refus des autorités sionistes de présenter des excuses officielles pour l’assassinat de neuf ressortissants Turcs qui se trouvaient sur le Mavi Marmara a expulsé l’ambassadeur sioniste à Ankara et suspendu (une mesure donc provisoire)la coopération militaire.bilatérale. Cette coopération se poursuit cependant dans un cadre…multilatéral.

On ne peut pas comprendre ces évolutions si on se contente de penser que Recep Tayyip Erdogan est un gentil islamo-démocrate qui a la cause palestinienne à cœur et qui fera tout pour la faire avancer.
M. Erdogan est certainement et sincèrement  très concerné par la cause palestinienne, comme sans doute l’écrasante majorité des Turcs, mais il est d’abord à la tête d’une nation et il agit avant tout en fonction de ce qu’il perçoit être les intérêts de son pays. Il ne faut pas oublier non plus qu’il doit composer avec des secteurs puissants de l’armée et de l’administration de l’Etat qui l’attendent au tournant pour le bouter hors du pouvoir, soit par la voie des urnes, soit s’ils ne peuvent faire autrement par un putsch.

En fait, Erdogan et son pays se trouvent dans des situations qui sont à la fois des atouts et des contraintes et l’amènent par moments à piloter à vue même s’il s’est fixé un cap stratégique tout à fait net.

Son adhésion à l’OTAN par exemple lui impose des contraintes qui s’opposent à un développement cohérent des relations entre Ankara et Téhéran. Or l’Iran est un partenaire économique prometteur pour la Turquie que ce soit pour l’approvisionnement énergétique que pour des échanges portant sur d’autres biens. Un partenariat solide avec l’Iran pourrait ouvrir la voie à une présence pourquoi pas conjointe dans un Caucase et une Asie Centrale où les cultures perse et turque sont étroitement imbriquées, voire en osmose.
Mais dans ce même Orient, dans l’ex URSS, la Turquie doit garder un œil sur l’Arménie avec laquelle le rapprochement reste délicat et entravé par le poids de l’histoire et  par les interférences de l’entité sioniste ou de puissances occidentales comme on l’a vu récemment avec les propos tenus par Nicolas Sarkozy à Erevan, la capitale arménienne. Et un conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan turcophone qui ne saurait être complètement exclu aurait forcément un écho important à Ankara..

Or la participation de la Turquie à l’OTAN lui éviterait d’être seule à faire face aux conséquences d’une guerre qui pourrait embraser toute la sous-région car il ne faut pas oublier que des communautés arméniennes existent au Liban mais aussi en Iran et que l’Azerbaïdjan est aussi une province iranienne..
A l’ouest, la Turquie demeure dans une amitié froide avec la Grèce pour des raisons historiques qui se traduisent par des contentieux sur le domaine maritime, une question très sensible quand on sait que le proche littoral turc est parsemé d’îles grecques. Sans oublier, bien entendu l’épineuse question chypriote qui envenime aussi les relations avec l’Union Européenne dont la république de Chypre est membre.
Là aussi, l’OTAN est une assurance contre une guerre opposant la Turquie et la Grèce.
D’une manière générale, l’OTAN est plus un atout qu’un inconvénient pour Ankara. Et l’OTAN a au moins autant besoin de la Turquie que cette dernière n’a besoin de l’OTAN.

Il n’en reste pas moins que la Turquie est maintenant à la croisée des chemins. Ayant accédé à une forme de démocratie représentative pluraliste, elle est en passe compte tenu de sa démographie et de son dynamisme économique d’accéder au rang de très grande puissance régionale aux plans politique, militaire et économique.
Mais les choses ne sont pas jouées car, pour concrétiser ce statut, elle comptait s’arrimer à l’Union Européenne qui aurait pu être l’instrument de son expansion économique et de la stabilisation définitive de ses institutions.

Le problème est que, en dépit de signaux contradictoires, l’UE ne semble pas vouloir de la Turquie qui est pourtant un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe et dont Istanbul, la principale métropole, occupe un position géographique beaucoup plus occidentale que l’île de Chypre qui a par contre été admise dans l’UE.
La réponse d’Erdogan a été de réorienter les efforts de sa diplomatie vers le Moyen orient et l’Afrique du Nord, deux régions qui étaient autrefois largement intégrées dans l’empire ottoman.
Il faut dire que, tout comme l’Europe balkanique, le Moyen Orient est le cadre en quelque sorte naturel de la Turquie. Et que le mouvement diplomatique d’Erdogan avait en fait été précédé de celui des entrepreneurs, d’abord petits puis plus importants qui ont tiré parti d’un marché où les productions turques se sont avérées très concurrentielles et très demandées. Et comparativement aux autres pays du Proche orient ou à ceux d’Afrique du Nord, l’économie turque dispose de capacités techniques et ce compétences très supérieures.

Cette évolution économique correspond aussi à une évolution culturelle en Turquie qui voit l’Islam prendre de plus en plus de place dans la vie des gens sans pour autant mettre en cause l’Etat républicain ni même le caractère séculier de l’Etat. Plus largement, c’est la page du kémalisme au regard braqué vers l’occident qui se tourne doucement. Sur ce point, observons que la laïcité de la Turquie kémaliste est plus une fiction destinée à vendre le kémalisme en France qu’une réalité ; voyez par exemple les imams envoyés en France par le gouvernement turc, une pratique antérieure au gouvernement Erdogan.
Pour que la Turquie puisse durablement asseoir sa prospérité économique et sa puissance politique, elle a cependant besoin d’un environnement stable car sa prospérité n’est pas fondée sur les performances commerciales des marchands de canon qui profitent des guerres, mais plutôt sur la vente de produits agricoles, de biens de consommation et de prestations en matières de travaux publics.

Les pays les plus importants pour la Turquie sont connus : ce sont d’abord les pays avec lesquels elle partage une frontière et un cours d’eau , l’Euphrate, c’est-à-dire l’Irak, et la Syrie. Viennent ensuite l’Iran, et l’entité sioniste puis l’Egypte.
Or, en dehors de l’Iran, cette zone vit une instabilité chronique non dans le sens où les régimes politiques changeraient très souvent mais dans le sens où elle est depuis des années au bord d’un embrasement général avec, en attendant, l’éclatement d’affrontements armés très localisés mais dévastateurs, comme à Gaza et au Liban.

La Turquie a longtemps pu s’accommoder de cette situation d’autant qu’elle privilégiait la relation avec l’entité sioniste qui lui fournissait à bon marché la technologie américaine dont a besoin son armée. Par ailleurs, la Turquie a des contentieux structurels avec ses voisins syrien et irakien, à propos des frontières avec la Syrie, et sur la question de la gestion de l’eau avec ces deux pays.
Mais cette situation qui privilégie le régime sioniste  ne satisfait pas la Turquie des commerçants et des entrepreneurs que représente l’actuel premier ministre Turc qui ne veut pas que son accès aux marchés soit pénalisé ou que ses investissements partent en fumée en fonction des caprices du régime sioniste.

Le gouvernement turc analyse donc le rôle du régime sioniste comme étant la principale source d’instabilité régionale. Il a par contre sous-estimé la fragilité interne de régimes comme le régime égyptien ou le régime syrien et la perméabilité des opinions ou de franges de la population aux réseaux d’influence des monarchies du Golfe. La Turquie avait  beaucoup misé sur le régime de Damas et ce qu’il est convenu d’appeler « le printemps arabe » l’a amenée à revoir ses positions. En effet, M. Erdogan ne veut pas d’une Syrie à feu et à sang et il considère que seul le pluralisme politique pourra éviter une plongée de la Syrie dans un chaos qui pourrait durer et dont elle subirait les contrecoups, via par exemple sa propre minorité arabe (syrienne pour partie) et/ou sa population kurde. Après tout, ne pourrait-on pas imaginer dans l’hypothèse d’une Syrie plongée dans l’anarchie une jonction des trois Kurdistans, irakien, syrien et turc ?
Un tel scénario entraînerait certainement une intervention militaire turque. Nous n’en sommes pas là, bien entendu.

Il reste que le ton de plus en plus ferme employé par le gouvernement turc à l’encontre du gouvernement syrien témoigne avant tout non du désir de la Turquie d’un changement brutal  de régime mais plutôt d’une crainte pour l’avenir et d’un conseil  ferme adressé à Bachar al-Assad de faire des réformes, au cas où son pouvoir survivrait aux événements en cours. Ce qui n’empêche pas la Turquie de tisser des liens avec l’opposition pour être prête dans l’éventualité où le régime baathiste serait emporté, sans pour autant apporter une aide de type militaire à ceux qui contestent l’autorité de Bachar al-Assad. De fait, ni la chute, ni le maintien du pouvoir en place en Syrie ne peuvent être exclus. Dans les deux cas, les liens tissés avec l’opposition au régime de Damas s’avèreront très utiles.

Pour l’instant, la Turquie a quand même du mal à trouver un interlocuteur crédible dans l’opposition syrienne qui est un patchwork de démocrates sincères, parfois naïfs, d’anciens pontes du régime ou de fondamentalistes de tout poil, clients de tel ou tel monarque du Golfe. Ces derniers n’ont aucune volonté de tester la sincérité des propositions réformistes du chef de l’Etat syrien.
Autant d’éléments qui expliquent une posture d’équilibriste dans laquelle la diplomatie turque a parfois  vacillé et failli tomber en indisposant par trop non seulement Damas mais aussi Téhéran. Un luxe que la Turquie ne peut en réalité se permettre pour des raisons économiques mais aussi stratégiques car l’Iran, comme on l’a dit, est aux marches du Caucase et peut parfaitement interférer avec les intérêts de la Turquie dans cette région tout comme elle peut être un atout pour la diplomatie turque. On doit insister encore sur la question kurde qui est le point commun  des deux pays de «l’axe du mal» avec le pilier oriental de l’OTAN.

Pour changer de région, il convient d’observer qu’en Libye, la Turquie s’est impliquée après avoir hésité mais s’est gardée d’avoir un rôle militaire offensif, pour au contraire s’attribuer le beau rôle quasi exclusivement humanitaire et elle tirera profit de la situation quelle  que soit l’évolution des choses dans ce pays.

Parce que la Turquie est de toute façon chez elle au Proche Orient et en Afrique du Nord qui sont un lieu naturel en quelque sorte pour le déploiement de sa puissance nouvelle en gestation. Quand Erdogan présente le système turc en exemple aux autres pays musulmans, il faut le prendre au sérieux et comprendre que la Turquie n’aura de cesse d’influer sur ces pays qui faisaient anciennement partie de l’empire ottoman. Pour des raisons historico-culturelles, c’est certain, mais surtout pour la bonne raison que c’est ce qu’il estime être l’intérêt de son pays.

Mais le premier ministre Turc n'ignore pas que rien ne sera vraiment possible tant que le conflit palestino-sioniste ne sera pas réglé ou en bonne voie de règlement.
La Turquie d’aujourd’hui apportera sa contribution à ce règlement parce qu’elle voit un obstacle dans les agissements du régime sioniste, là où  la Turquie kémaliste percevait au contraire  un avantage dans sa relation avec l’Europe et les Etats Unis.
Alors bien sûr, la Turquie ne va pas faire la guerre au régime sioniste. Mais pour comprendre ce qui se passe, il faut quand même se figurer que la Turquie a pris de sérieuses mesures de rétorsion à l’encontre de l’entité sioniste parce que cette dernière a refusé de s’excuser officiellement pour avoir perpétré le meurtre de neuf ressortissants Turcs embarqués dans un convoi humanitaire pour Gaza.

Ce qu’il faudrait ici chercher à comprendre, ce n’est pas pourquoi la Turquie insiste tant pour obtenir ces excuses, mais pourquoi le régime délinquant de Tel Aviv s’obstine à refuser de les présenter. D’autant que  nous venons de voir les autorités sionistes s’excuser auprès des généraux Egyptiens pour avoir assassiné récemment des militaires Egyptiens dans le Sinaï.
Cette différence de traitement nous renvoie au statut différent de l’Egypte et de la Turquie vis-à-vis du régime sioniste. Dans le cas égyptien, l’entité sioniste cherche à éviter un glissement de l’Egypte dans le camp hostile par une dénonciation des accords de paix bilatéraux. On a un moment cru que ce glissement allait s’opérer dans les premières semaines qui ont suivi la chute de Moubarak, mais tel n’a pas été le cas. La promesse des militaires Egyptiens de lever complètement le blocus terrestre de gaza n’a notamment pas été tenue pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas.
Dans le cas de la Turquie, il en va autrement car ce gouvernement a évolué  vers une position hostile à l’égard du gouvernement sioniste. Ce n’est certes pas une position de belligérance, tant s’en faut, mais une sévère détérioration des relations avec un pays qui était un allié sûr. Du point de vue sioniste, présenter des excuses officielles à cet ami qui s’éloigne ne pourrait être que le prélude à de nouvelles exigences de ce puissant voisin, exigences qu’il deviendrait alors difficile de rejeter d’un revers de main. La Turquie est, ne l’oublions pas, la profondeur stratégique de l’entité sioniste qui a maintes fois utilisé son espace aérien pour se livrer à des agressions.
D’autre part, des excuses seraient un aveu de culpabilité dont des tribunaux pourraient se souvenir.

Le gouvernement turc sait tout cela  et il va maintenir la pression aussi sur le régime sioniste, allégeant cette pression éventuellement au gré de ses besoins politiques.
Mais le pli est pris car il découle d’une analyse stratégique et cette dernière diverge complètement de celle qui est faite par les stratèges de l’entité sioniste. Là où les sionistes veulent le statu quo, pour continuer à coloniser et subsister dans la peur indispensable à ce ghetto implanté en Palestine ; la Turquie a besoin de changements partout où  ils seront nécessaires à la réalisation d’une stabilité durable conforme à ses intérêts économiques.

Ce sont en fait deux images du Proche orient qui s’opposent : une vision turque d’un Proche Orient intégré [autour de la Turquie] et stabilisé avec des systèmes politiques représentatifs, une vision sioniste d’un proche Orient fragmenté agité de luttes internes avec une régulation par bombardements ou interventions militaires peu coûteuses en hommes et en argent.
Ces visions sont incompatibles. L’entité sioniste devra donc soit rentrer dans le rang de la normalité, soit disparaître d’une manière ou d’une autre. Comment ? Difficile à dire. Certainement pas par la guerre. Par exemple, le simple fait de se normaliser (hypothèse audacieuse je l’admets) entraînera fatalement la disparition de cette entité.


Par Tarık Oğuzlu, Zaman (Turquie) 26 septembre 2011 traduit de l’anglais par Djazaîri

La récente crise des relations turco-israéliennes suite aux réactions diamétralement opposées des deux parties devant les conclusions du rapport dit Palmer de l'Organisation des Nations Unies ne peut être comprise isolément de la manière dont chacun lit l'ordre régional embryonnaire au Moyen-Orient. En un mot, il apparaît que la Turquie agit comme une puissance «révisionniste / aspirante [au leadership]"  tandis qu'Israël est un fervent "partisan du statu quo».

Il semble que la Turquie soit bien en avance sur Israël dans l’adaptation à la nouvelle dynamique régionale, particulièrement en ce qui concerne les implications régionales e ce qu’on appelle le « printemps arabe. » La Turquie est à la pointe des démarches pour établir un nouvel ordre au Moyen orient qui cesserait de considérer Israël comme un « acteur par nature au-dessus de la réprobation internationale et du droit international » ; qui ne verrait plus les Etats Unis comme le ‘gardien’ d’un ordre régional comme si les acteurs régionaux étaient incapables de résoudre leurs problèmes eux-mêmes ; et qui cesserait d’associer la région au pétrole, aux armes de destruction massive et au conflit israélo-arabe.

Alors que la Turquie plaide pour un nouvel ordre régional base sur un rôle actif et la responsabilité des acteurs régionaux et considère que la sécurité d’Israël ne pourrait être garantie que par la normalisation des relations d’Israël avec ses ‘ennemis’, Israël semble nettement préférer  l’idée que les Etats Unis continuent à agir comme garant de la sécurité territoriale israélienne.

Vu de Turquie, il semble qu’une paix et une stabilité durables dans la région ne puissant se réaliser que si cette région n’est plus considérée comme un objet des intérêts occidentaux en matière de sécurité. Ni Israël, ni aucun autre acteur extérieur ne devraient continuer à définir le Moyen Orient dans une perspective instrumentale visant à ‘contenir’ et à ‘éliminer’ des menaces émanant de cette zone. Cette façon de penser ne ferait qu’empêcher les acteurs régionaux d’entrer mutuellement en relation à travers le prisme de la coopération. Les acteurs régionaux devraient être les sujets/acteurs de leur destinée plutôt que les objets des autres.

Avec l’évolution du printemps arabe, la Turquie a adopté la thèse selon laquelle un nouvel ordre régional ne peut être établi qu’en contribuant à l’institutionnalisation de la ‘démocratie représentative’ dans la région.  Ce qui permettrait non seulement de concrétiser des relations plus pacifiques et plus stables entre les acteurs régionaux mais aussi de placer les relations entre les puissances occidentales et les acteurs régionaux sur des bases plus saines. Il est vraiment ironique que la Turquie, un pays dont les lettres de créances occidentales ont été rudement mises à l’épreuve ces dernières années, apparait comme ayant pris la tête d’un ordre régional  au Moyen orient en sympathie avec l’Occident, tandis qu’Israël, un pays qui doit son existence aux puissances occidentales et a longtemps été vu comme le vrai défenseur des intérêts occidentaux en matière de sécurité régionale, semble aller à contre courant.

Un autre aspect ironique est que, alors que les Etats Unis ont dû s’exprimer ‘officiellement’ contre l’admission de la Palestine comme membre souverain des Nations Unies, il y a eu un niveau de plus en plus élevé de convergence entre Ankara et Washington sur de nombreuses questions figurant sur l’agenda moyen oriental.  La rencontre entre Obama et Erdogan en marge du sommet de l’ONU le confirme. De lui-même, le président Obama se serait probablement rangé du côté de la cause palestinienne aux Nations Unies.

Il faut noter que si la Turquie a osé prendre le risque de détériorer ses relations avec les régimes en place en Libye, en Syrie et en Iran en soutenant clairement les appels populaire pour plus de libertés, de bien-être et de dignité, Israël a opté pour une approche très prudente de crainte qu’un nouvel ordre régional basé dur le ‘pouvoir du peuple’ pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les  piliers traditionnels de la sécurité régionale, les relations d’Israël avec les Etats voisins et la légitimité de l’existence d’Israël.

Là où les dirigeants Turcs ont, en de nombreuses occasions, souligné l’importance croissante et la légitimité du ‘pouvoir’ du people, leurs homologies Israéliens ont mis en avant les risqué et les dangers des changements de régimes dans la région. Pour la Turquie, c’est au peuple dans la rue de ‘s’approprier’ le nouvel ordre et aux leaders qui émergent d’agir en rendant compte à leurs électeurs. S’appuyer sur des ressources naturelles, des institutions politiques répressives ou un soutien extérieur ne garantira plus la survie d’un régime.

Si la Turquie semble croire que la solution au conflit israélo-arabe est une condition sine qua non de la légitimité et de la viabilité de tout nouvel ordre qui pourrait émerger dans la région, Israël donne l’impression de penser qu’aujourd’hui est le plus mauvais moment pour engager des négociations directes avec les Palestiniens. Tandis que la Turquie envisage l’admission aux Nations Unies  d’un Etat palestinien indépendant/souverain comme un moyen d’échapper à l’actuel enlisement/ impasse du processus de paix, Israël tend à interpréter l’activité de lobbying de la Turquie en faveur de la campagne des Palestiniens pour entrer à l’ONU comme une action particulière de la Turquie pour punir Israël de son intransigeance sur la question des excuses [pour le meurtre des neuf passagers du Mavi marmara].

Alors que la Turquie considère la normalisation des relations entre les pays arabes et Israël comme vitale pour ce nouvel ordre, Israël tend à interpréter les efforts croissants de la Turquie pour obtenir une telle normalisation comme sapant la légitimité d’Israël et modifiant le rapport de force vis-à-vis des Arabes.

Du point de vue turc, il n’y a rien d’anormal à ce que la Turquie, une ancienne puissance impériale de la région, s’implique activement dans le règlement de la querelle israélo-arabe et présente en conséquence ses thèses dans les forums internationaux. Il n’est cependant pas question de dire que la Turquie court après des tentatives de reconstituer l’empire ottoman. Il faut au contraire comprendre que plus ma paix intérieure et la stabilité de la Turquie influent sur l’évolution de la région et plus la Turquie deviendra puissante en termes de pouvoir de convaincre comme de contraindre, et plus la Turquie sera intéressée par la façon dont les choses se passent chez ses voisins. 
C’est de la simple realpolitik tout comme ce qui préside à l’élaboration des politiques étrangères er de sécurité en Amérique, en Europe, en Russie et en Chine.

 Assoc. Prof. Dr. Tarık Oğuzlu, Bilkent University Department of IR

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