vendredi 9 septembre 2011

Saga Libya, attention les secousses!


Leadership est une lettre d’information sud africaine destinée à ce qu’on appelle communément des « leaders », c’est-à-dire des gens qui comptent et exercent une influence plus ou moins grande sur l’opinion et les décideurs. Quand ils ne font pas partie eux-mêmes des décideurs.
Dans un article d’opinion traitant de l’intervention de l’OTAN en Libye, le journaliste Stef Terblanche ne fait guère preuve d’originalité, il fait bien mieux que ça puisqu’il nous donne un aperçu de l’état d’esprit de nombreuses élites africaines sur l’opération coloniale conduite par les puissances coalisées dans l’OTAN, principalement les deux ex grandes puissances coloniales, le Royaume Uni et la France.
Deux pays qui ont en effet dupé des Etats qui, comme l’Afrique du Sud, entendaient utiliser le levier onusien pour éviter un bain de sang en Libye et favoriser une issue négociée à la crise politique traversée par ce pays.
Non seulement la France et la Grande Bretagne ont outrepassé allègrement les objectifs assignés par la résolution 1973 de l’ONU mais ces deux pays se sont ingéniés à faire capoter toutes les initiatives de paix de l’Union Africaine.
La France et la Grande Bretagne sont peut-ête fières de leurs agissements qui ont débouché sur l’éviction du colonel Kadhafi mais peut-être devront-elles un jour rendre des comptes pour les immenses destructions qu’elles ont causé mais surtout pour le bain de sang qu’elles ont provoqué.
Alors que la résolution 1973 visait précisément à l’éviter. Mais rassurez-vous, vos journaux vous apprendront sans doute que la très grande majorité des dizaines de milliers de personnes tuées l'ont été du fait des forces du colonel Kadhafi. La presse est effectivement chargée de passer le shampoing moquette sur le tapis de bombes rouge de sang déversé par la France, la Grande Bretagne et les Etats Unis.
Disons cependant à MM. Sarkozy, Cameron et Obama que certaines victoires sont lourdes de désillusions à venir car il est clair que l’Afrique du Sud n’est pas prête de digérer le camouflet qu’elle a subi et une entreprise coloniale qui est antithétique avec toute l’histoire de cette nation.
Or, l’Afrique du Sud est déjà un pays qui compte et comptera encore plus demain, c’est un pôle de puissance qui émerge en Afrique et entraînera bientôt dans son sillage toute l’Afrique australe. D’autre pôles de puissance émergeront sans doute, je pense ici au Nigeria dont le gouvernement a reconnu l’autorité du CNT mais où de nombreuses voix s’élèvent pour demander au chef de l’Etat de rapporter cette décision.
Comment elle disait déjà la chanson de Yannick Noah ?
Ah oui : « Saga Africa, attention les secousses ! »

Par Stef Terblanche, Leadership (Afrique du Sud) 5 septembre 2011traduit de l’anglais par Djazaïri
La semaine dernière, le monde a été gratifié du spectacle de la conférence de Paris où des dirigeants occidentaux, l’un après l’autre – en compagnie de quelques dictateurs arabes de service – se sont tapés sur l’épaule pour se féliciter d’avoir «libéré» la Libye du pouvoir de Mouammar Kadhafi. Ce qui rappelait irrésistiblement l’infâme conférence de Berlin en1884 où l’Afrique avait été découpée entre colonisateurs européens.
A juste titre, le président Sudafricain Jacob Zuma a fait savoir – comme tout Africain qui se respecte aurait dû le faire – qu’il n’aurait rien à voir avec le cynisme de ce cirque organisé ostensiblement  par le président Français Nicolas Sarkozy et le premier ministre Britannique David Cameron, pour décider de l’avenir de la Libye… comme si ce n’était pas aux Libyens et aux Africains eux-mêmes.de le faire.
En fin de compte, il y avait une absence flagrante de dirigeants Africains influents, un certain nombre de pays africains et l’Union Africaine (UA) ayant refusé de reconnaître le Conseil National de Transition (CNT) installé par l’OTAN en tant que nouveau gouvernement de la Libye. L’Algérie, voisine de la Libye, était présente mais seulement comme observateur et peut-être seulement parce que sa frontière commune avec la Libye lui a donné des motifs impérieux..
La Russie et la Chine – qui se sont toutes deux opposées à la campagne militaire conduite par l’OTAN pour chasser Kadhafi – étaient aussi présentes comme pays observateurs, la Russie ayant reconnu le CNT à peine quelques jours auparavant. Cependant, ces deux pays ont d’importants intérêts présents en Libye tandis que la Chine a aussi d’énormes intérêts ailleurs en Afrique, par exemple en Angola qui est maintenant son plus gros fournisseur de pétrole.
Pour beaucoup de gens, la conférence de Sarkozy et  Cameron, version 2011 de la “ruée vers l’Afrique”, ramène aussi à l’esprit le discours d’acceptation du leader de l’ANC Albert Luthuli quand il reçut le prix Nobel de l paix et dit : « Notre continent a été découpé par les grandes puissances. Des gouvernements étrangers ont été imposés au peuple africain par la conquête militaire et la domination économique. »
Comme Vusi Gumede de l’université de Johannesburg nous l’a rappelé si éloquemment dans un article d’opinion du Sunday Independent ce weekend : « Un cas d’espèce 50 ans plus tard est la douloureuse question de la Jamahiriya Arabe Libyenne. Il y a d’autres cas comme la Côte d’ivoire qui est une bombe à retardement. »

A ces deux cas, Gumede aurait pu ajouter la “domination économique”  par la Chine qui s’accentue dans de nombreux pays africains, ou le désordre anarchique que les Etats Unis ont laissé derrière leur tentative de « conquête militaire » en Somalie.
Ce dernier pays avait d’abord été un pion géopolitique pendant la guerre froide entre les USA et l’Union Soviétique dans leur volonté de contrôler la Corne de l’Afrique. Les USA avaient maintenu de bonnes relations avec le régime meurtrier de Siad Barre jusqu’à son éviction. Le pays se désintègrera dans une anarchie complète et les Etats Unis prendront la fuite la queue entre les jambes après la tragédie de l’hélicoptère tombé entre les mains des seigneurs de la guerre.
Aujourd’hui, les Etats Unis sont revenus indirectement en Somalie et soutiennent une des parties au conflit là-bas contre le mouvement islamiste al-Shabab à qui on reproche l’aggravation de la situation. Mais cette fois, l’armée des Etats Unis n’est pas directement impliquée. Washington a envoyé à Mogadiscio Richard Rouget, un mercenaire Français à la tête d’une équipe de 40 hommes, des « mentors » qui forment une «force de maintien de la paix»en Somalie.. Rouget travaille pour une compagnie de sécurité privée établie à Washington qui est connue pour ses activités criminelles et ses liens présumés avec plusieurs coups de force en Afrique et un assassinat. Il avait aussi été le bras droit d’un autre fameux ancien mercenaire, Bob Denard.
D’anciens soldats Français, Britanniques et, malheureusement oui, Sudafricains sont au nombre de ceux qui travaillent avec lui. Le Département d’Etat US finance la compagnie de Rouget, pourtant tout le monde sait le niveau de destruction qui résulte de ce genre d’opérations clandestines US.
Les pays africains ont refusé de permettre aux Etats Unis d'installer leur commandement  militaire pour l’Afrique (AFRICOM) – un des dix commandements régionaux des forces armées US dans le monde - sur le sol africain. Les Etats Unis ont donc dû baser leur commandement en Allemagne « jusqu’en 2012 », année de réévaluation de la situation.

Le général William E. Ward, commandant de l’AFRICOM a récemment effectué plusieurs visites au Botswana dans le cadre d’un net accroissement de la coopération militaire entre les deux pays. C’est ce fait et la rumeur selon laquelle les USA allaient installer une base au Botswana qui avaient amené le leader du mouvement de jeunesse de l’ANC, Julius Malema, à faire une déclaration retentissante concernant le soutien de son organisation à un changement de régime au Botswana, une déclaration qui lui a valu des problèmes avec le parti au pouvoir en Afrique du Sud.
Africains Concernés [ou Inquiets], dont Vusi Gumede est membre, a écrit une lettre ouverte à tous les peuples d’Afrique et du monde, faisant le constat de l’échec des nations Unies dans le monde, et particulièrement en Afrique par son adoption de décisions inappropriées.
“En tant qu’Africains inquiets, nous n’avons pas d’aute choix que de nous mobiliser et de réaffirmer notre droit et notre devoir de décider de notre destin en Libye et partout ailleurs sur notre continent,” écrit Gumede. Il souligne la manière candide avec laquelle l’OTAN a interprété et appliqué la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour imposer une « zone d’exclusion aérienne » en Libye, l’Afrique du Sud ayant été bernée pour qu’elle lui apporte son soutien (voir Out of Africa de la semaine dernière).
Comme l’Afrique du Sud, de nombreux pays africains et d’autres pays du BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud] ont condamné le comportement arrogant du Royaume Uni et de la France qui ont recouru à la seule force militaire au lieu du recours proclamé à « tous les moyens » pour protéger les civils Libyens.,puis ont  fait évoluer l’objet de l’action de la protection des civils à l’obtention d’un changement de régime à tout prix en Libye. En fin de compte, beaucoup, beaucoup de civils ont été tués – pas protégés – par la campagne incessante de bombardements de l’OTAN, les immenses ressources pétrolières de la Libye étant la récompense ultime.
Ironiquement, tout a commencé aux Nations Unies en lesquelles le grand dirigeant encore vivant de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela, avait tellement foi quant des délibérations étaient en cours pour savoir si les Etats Unis et la Grande Bretagne devaient attaquer l’Irak pour éliminer son arsenal présumé d’armes de destruction massive… des armes qu’il n’avait jamais eues.
A l’époque, Mandela avait dit: “Il n’y a qu’une solution et une seule et elle passe par les nations Unies. Si la Grande Bretagne et les Etats Unis vont aux Nations Unies et que les Nations Unies disent avoir des preuves concrètes de l’existence de ces armes de destruction massive en Irak et que nous sentions que nous devons faire quelque chose à ce sujet, nous y serions tous favorables. »
La Grande Bretagne et les Etats Unis firent ce qu'ils voulurent de toute façon – ils envahirent l’Irak sur la base de leurs mensonges et sous le prétexte qu’ils sauveraient des millions de vies en agissant ainsi.
Avec le prétexte humanitaire semblable de sauver des vies, la Grande Bretagne et la France ont outrepassé la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour attaquer la Libye et obtenir un changement de régime.  Plusieurs initiatives louables de l’Union Africaine dans lesquelles l’Afrique du Sud a joué un rôle moteur et qui cherchaient à aboutir à un règlement négocié en Libye pour éviter un bain de sang ont tout simplement été ignorées par la Grande Bretagne, la France et leurs alliés de l’OTAN. L’Afrique n’a pas été autorisée à avoir une marge de manoauvre pour apporter une solution africaine à un problème africain.

«L’Afrique et le monde en développement sont donc en droit d’être atterrés, car les Libyens sont des Africains et font partie du monde en développement qui a beaucoup souffert de l’impérialisme et du colonialisme. Les Libyens ont payé et continuent à payer, de leurs vies, pour l’objectif occidental de changement de régime,» écrit Gumede. En effet..

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