vendredi 2 septembre 2011

Libye: portrait d'un agent d'al Qaïda avant réhabilitation par la presse "libre"


La machine de propagande de l’OTAN continue à tourner à plein régime au sujet de ce qui s’est passé et continue à se passer en Libye. Quand je dis machine de propagande, je ne parle pas que de bureaux où des agents gouvernementaux fabriquent discrètement des « histoires» qu’ils fourguent à la presse. Vous pouvez en effet inclure aussi dans cette machinerie de propagande ces journalistes qui se présentent comme des portes drapeaux de la démocratie. A moins qu’ils soient extrêmement naïfs, ce dont on peut douter vu l’expérience de certains.
J’écoutais tout à l’heure d’une oreille distraite Alain Duhamel sur Canal +. Un modèle de probité journalistique en effet… J’espère qu’il donne des cours à ceux qui veulent apprendre le métier.  Le « Téléphone sonne » mercredi dernier sur France Inter était encore plus à gerber, d’autant que les journalistes de cette station ont entrepris de participer à l’entreprise de réhabilitation des militants de ce qu’on appelle Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), puisque ces derniers sont désormais des partenaires des démocraties éclairées au même titre que les démocraties avancées du Qatar, de Bahreïn ou d’Arabie Saoudite.

L’histoire semble bégayer avec cette réédition de pratiques coloniales qu’on croyait révolues. Elle bégaie d’autant plus que cette alliance entre les fondamentalistes wahhabites et les puissances occidentales fait furieusement penser au rapport qu’entretenait la secte dite des Assassins avec les Croisés :
Il prêchera désormais la haine contre les représentants de l’islam officiel et verra, ainsi que ses successeurs, d’un bon œil l’arrivée des hordes de Croisés en Orient. Sa prochaine cible fut la Syrie, où il put recruter beaucoup de chiites intégristes et fonder toute une série de villages fortifiés. Massyaf devint l’Alamut de la Syrie et abrita Rachîdaddîn Sinân, un des plus célèbres Vieux de la secte.
L’incompatibilité entre ces extrémistes wahhabites et l’Occident « éclairé » n’est donc que purement théorique et rhétorique et n’empêche nullement qu’une alliance se noue en pratique.

Pepe Escobar nous brosse le portrait d’Abdelhakim Belhadj, un des chefs militaires de la « rébellion » libyenne. A garder en mémoire à chaque fois que vous lirez ou entendrez ici ou là des journalistes « très propres sur eux » vous le présenter comme quelqu’un de fréquentable voire modéré. Il est vrai que pour nos journalistes, l’Arabie Saoudite est un pays «modéré.»

Par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong) 30 août 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Son nom est Abdelhakim Belhadj. Certains au Moyen Orient, mais très peu en Occident et dans le reste du monde, ont dû en entendre parler

Il est temps de se rattraper. Parce que l’histoire de la manière dont un agent d’al Qaïda est devenu un haut responsable militaire dans une Libye encore déchirée par la guerre est du genre à faire voler en éclats – une fois de plus – ce kaléidoscope qu’est la » guerre contre le terrorisme », ainsi qu’à gravement fragiliser la propagande soigneusement élaborée pour l’intervention « humanitaire » de l’OTAN en Libye.

Mardi dernier, déjà, Belhadj jubilait devant la manière dont la bataille avait été gagnée, avec les forces de Kadhafi fuyant “comme des rats” (notez que la même métaphore est utilisée par Kadhafi lui-même pour désigner les rebelles).
La forteresse de Mouammar Kadhafi à Bab el Azizia a été investie et prise la semaine dernière par les hommes de Belhadj – qui étaient à la tête d’une milice de berbères des montagnes au sud-ouest de Tripoli. La milice est la soi disant brigade de Tripoli, entraînée en secret depuis deux mois par les forces spéciales US. Elle s’est avérée la milice rebelle la plus efficace de ces six mois de guerre civile/tribale.

Abdelhakim Belhadj, alias Abou Abdallah al-Sadek; est un djihadiste Libyen. Né en mai 1966, il a fait ses armes avec les moudjahidine dans le djihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980. Il est le fondateur Groupe Islamique de Combat Libyen (GICL) et son émir de facto – avec Khaled Cherif et Sami Saadi comme adjoints. Après la prise de pouvoir à Kaboul par les talibans en 1996, le GICL a conservé deux camps d’entraînement en Afghanistan ; un d’entre eux, à 30 kilomètres de Kaboul – dirigé par Abou Yahia – était strictement réservé à des djihadistes liés à al Qaïda.
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Après le 11 septembre, Belhadj est allé au Pakistan et aussi en Irak où il s’est lié d’amitié avec nul autre que l’ultra-méchant Abou Moussab al-Zarkaoui – tout ça avant qu’al Qaïda en Irak fasse allégeance à Oussama ben Laden et Aymen al-Zawahiri et adopte avec enthousiasme ses méthodes macabres.

En Irak, les Libyens se sont trouvés être le plus important contingent de djihadistes étrangers, ne le cédant qu’aux Saoudiens. En outre, les djihadistes Libyens ont toujours été des vedettes du sommet de la hiérarchie de l’al Qaïda historique – d’Abou Faraj al-Libi (chef militaire jusqu’à son arrestation en 2005, et qui reste un des détenus de premier plan dans le centre de détention US de Guantanamo) à Abou al-Laith al-Libi (un autre chef militaire tué au Pakistan début 2008).

L’époque du transfert extraordinaire

Le GICL était dans le collimateur de la CIA depuis le 11 septembre. En 2003, Belhadj  sera finalement arrêté en Malaisie – et puis transféré, dans le style des transferts extraordinaires, vers une prison secrète à Bangkok, et torturé en bonne et due forme.
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En 2004, les Américains décidèrent d’en faire cadeau aux services secrets libyens – jusqu’à sa libération par le régime de Kadhafi en mars 2010 en compagnie de 21 autres “terroristes”, dans une opération de relations publiques claironnée avec grande fanfare.
Le chef d’orchestre n’était pas moins que Saif el-Islam Kadhafi – le visage moderniste du régime formé à la London School of Economics. Les chefs du GICL – Belhadj et ses adjoints Cherif et Saadi – publièrent 447 pages de confessions baptisées « études correctives » dans lesquelles ils déclaraient que le djihad contre Kadhafi était terminé (et illégal) avant d’être finalement mis en liberté.
Un compte rendu fascinant de l’ensemble du processus peut être lu dans un rapport intitulé « Combattre le terrorisme en Libye par le dialogue et la réinsertion. » Notons que les auteurs, des «spécialistes » du terrorisme établis à Singapour qui avaient été des hôtes de choix du régime, expriment leur plus «profonde gratitude » pour Seif el-Islam et la fondation Kadhafi internationale pour le développement qui ont rendu le visite possible.
Un fait très important, toujours en 2007,  le numéro 2 d’al Qaïda à l’époque, Zawahiri, avait annoncé officiellement la fusion du GICL et d’al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Donc, à partir de là, pour tous les aspects opérationnels, le GICL et AQMI n’ont été qu’une seule et même entité – et Belhadj en était l’émir.
En 2007, le GICL appelait au djihad contre Kadhafi mais aussi contre les Etats Unis et tous les « infidèles » occidentaux.
Bien après, en février dernier et en tant qu’homme libre, Belhadj a décidé de retourner au djihad et de joindre ses forces avec la rébellion orchestrée en Cyrénaïque.
Tous les services de renseignements des Etats Unis, d’Europe et du monde arabe savent d’où il vient. ll a déjà fait savoir en Libye que sa milice et lui-même n’auraient de cesse que la sharia soit appliquée.

Il n’y a rien de “pro-démocratie” là dedans – même avec un gros effort d’imagination. Et pourtant, un tel atout ne pouvait pas être tenu à l’écart de la guerre de l’OTAN simplement parce qu’il n’est pas très friand des «infidèles.»
L’assassinat en juillet dernier du chef militaire rebelle, le général Abdel Fatah Younes – par les rebelles eux-mêmes – semble être le fait de Belhadj ou du moins, de personnes très proches de lui. Il est très important de savoir que Younes, avant de faire défection du régime – avait été responsable des forces spéciales qui combattaient avec acharnement le GICL en Cyrénaïque entre 1990 et 1995.
Le Conseil National de Transition (CNT), selon un de ses membres, Ali Tarhouni, a laissé entendre que Younes avait été tué par une mystérieuse brigade connue sous le nom d’Obaida ibn Jarrah (un des compagnons du prophète Mohamed). Pourtant, cette brigade semble maintenant avoir disparu dans la nature.


Ce ne peut être que difficilement un hasard si tous les hauts responsables militaires rebelles sont du GICL, depuis Belhadj à Tripoli à un certain Ismaël Ali Salabi et un Abdelhakim al-Assadi à Derna, sans même parler d’un personnage important, Ali Salabi qui est au cœur du CNT. C’est Salabi qui avait négocié avec Seif al-Islam Kadhafi la « fin » du djihad du GICL, assurant ainsi un brillant avenir à ces « combattants de la liberté » born-again.

Pas besoin d’une boule de cristal pour décrire les conséquences de la prise du pouvoir militaire par le GICL/AQMI -  et de sa présence parmi les « vainqueurs » - qui ne sont pas disposés du tout à céder la place simplement pour satisfaire aux caprices de l’OTAN.

Pendant ce temps, au milieu des brumes de la guerre, on ne sait pas bien si Kadhafi envisage de piéger la brigade de Tripoli dans des combats urbains, ou de forcer la plus grande partie des milices rebelles à pénétrer dans l’immense territoire des tribus Warfallah.
L’épouse de Kadhafi appartient aux Warfallah, la plus grande tribu libyenne, avec plus d’un million de personnes et 54 fractions. Ce qui se dit à mot couvert à Bruxelles est que l’OTAN s’attend à voir Kadhafi combattre pendant des mois sinon des années ; avec la mise à prix de sa tête dans le plus pur style du Texan George W. Bush et le retour désespéré au plan A de l’OTAN qui avait toujours été de l’éliminer, la Libye risque de se trouver devant l’hydre d’une guérilla bicéphale en Libye : les forces de Kadhafi contre un gouvernement central du CNT faible et des soldats de l’OTAN sur le terrain ; et la nébuleuse GICL/AQMI dans un djihad contre l’OTAN (si elle est écartée du pouvoir).

Kadhafi peut bien être une relique dictatoriale du passé, mais ce n’est pas pour rien que vous monopolisez le pouvoir pendant quatre décennies sans, et sans que vos services secrets apprennent une ou deux choses intéressantes. Kadhafi a dit que c’était une opération soutenue par l’étranger et al Qaïda ; il avait raison (même s’il a oublié de dire que c’était pas dessus tout une guerre néo-napoléonienne du président Français Nicolas Sarkozy, mais c’est une autre histoire).
Il avait dit aussi que c’était le prélude à une occupation étrangère dont l’objectif est de privatiser et prendre le contrôle des ressources naturelles libyennes. Il se pourrait bien – encore – qu’il s’avère être dans le vrai.

Les “experts” de Singapour  qui avaient loué la décision du régime de Kadhafi de libérer les djihadistes du GICL l’avaient qualifiée de “stratégie nécessaire pour réduire la menace pour la Libye. »
Aujourd’hui, le GICL/AQMI est finalement en passé concrétiser son rôle en tant que « force politique indigène. »

Dix ans après le 11 septembre, il est difficile de ne pas se figurer le crâne d’une certaine personne tout au fond de la mer d’Arabie se fendre d’un rire qui résonnera longtemps.

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