lundi 22 août 2011

La Libye bientôt sous occupation américaine?

A l’heure où j’écris ces lignes, la « rébellion » libyenne semble être en passe de l’emporter définitivement et d’éliminer le régime du colonel Kadhafi.
Qui regrettera ce personnage encore décrit comme fou hier sur BFM TV, à preuve son « exotique » garde rapprochée féminine. Seuls ceux qui ignorent l’histoire de ce morceau de terre africaine peuvent qualifier d’exotique ces femmes-soldats. Mais ce n’est pas la connaissance de l’histoire de l’Afrique ou des pays arabes qui étouffe en général les journalistes…

Pourtant, le problème du jour n’est pas la fin très probable du régime de M. Kadhafi. Ce qui est en réalité très important, c’est que nous venons de connaître, en ce début de 21ème siècle une expédition coloniale du genre de celles que le monde a connues au 19ème siècle jusqu’à la phase de décolonisation.
Car il est évident que jamais les « rebelles » Libyens n’auraient pu arriver à leurs fins sans la force militaire, aérienne, navale sans parler des troupes au sol bel et bien présentes, déployée par les puissances belliqueuses regroupées dans l’OTAN.

Cette aventure coloniale aura été permise par le colonel Kadhafi lui-même, prisonnier comme bien des autocrates, des illusions que confère un pouvoir absolu : popularité, inamovibilité, invincibilté. Elle aura été permise aussi par une alliance hétéroclite qui a vu se liguer aux côtés des nations occidentales pour l’adoption de la résolution 1973 (foulée aux pieds immédiatement par les pays de l’OTAN) les monarchies démocratiques du Moyen Orient (Qatar, Jordanie, Arabie Saoudite) d’une part et le Liban et l’Iran d’autre part. C’est que ces deux derniers pays n’ont jamais oublié, ni pardonné, l’enlèvement (et sans doute le meurtre) de Moussa Sadr, guide spirituel, imam, des chiites Libanais.
On ajoutera à ces éléments la naïveté des pays membres de l’Union Africaine, Afrique du Sud en tête. Il est vrai que cette dernière ne savait pas trop ce qu’elle avait à gagner ou à perdre dans l’affaire libyenne, alors que les Etats occidentaux savaient exactement le profit à tirer d’une victoire sur le gouvernement libyen.

Cette affaire, qui vient après celle de Côte d’Ivoire, devrait sonner comme un avertissement pour les Etats d’Afrique et peut-être d’ailleurs. Car les pays occidentaux, qui voient la Chine dominer inexorablement la sphère économique mondiale (on a vu récemment ce pays taper su les doigts de son principal débiteur, les Etats Unis, chose que personne n’aurait pu imaginer il y a seulement trois mois) vont sans doute se montrer de plus en plus agressifs afin de s’assurer le contrôle de zones vitales aujourd’hui, et surtout demain, pour le développement chinois. Ils ne peuvent le faire que grâce au dernier élément de supériorité qui leur reste, celui des armes.

Des armes qui, l’exemple libyen le montre une fois de plus, ne servent à rien aux mains de régimes arabes peu légitimes et le plus souvent impopulaires. Tant que les troupes de M. Kadhafi étaient opposées aux seuls rebelles, l’affaire était entendue. Mais face aux bateaux et à l’aviation de l’OTAN, le tigre s’avère comme souvent être de papier.
Le gouvernement algérien devrait y songer, lui qui tend depuis quelques années à multiplier les achats de ferraille inutile pour équiper ses divers corps d’armée. La seule défense qui vaille est en effet la défense populaire ainsi que le démontrent chaque jour les Talibans en Afghanistan ou comme l'a montré la résistance libanaise, qui ne comprenait pas que le Hezbollah comme on le dit trop souvent, en 2006.

L’Algérie sera sans doute, après les Libyens eux-mêmes, le grand perdant de cette affaire libyenne et le pire est désormais à craindre dans ce pays où des forces centrifuges ne demandent qu’à être mises en mouvement. Le gouvernement algérien ne l’a pas compris et/ou a renoncé au credo anti-impérialiste qui animait la lutte d’indépendance dirigée par le FLN. L’incurie de ce gouvernement dans la gestion de cette crise a en effet été complète. Il ne tardera sans doute pas à s’en mordre les doigts. Car l’affaire libyenne aura de lourdes conséquences, la première étant sans doute celle que suggère Richard Haass qui tient à ce que les Etats Unis tirent tout le profit stratégique d’une guerre qu’ils ont mené depuis des coulisses dont ils devraient sortir.


PS: le CNT de Benghazi vient d'adresser un nouveau message "amical" au gouvernement algérien

par Richard Haass, The Financial Times (UK) 22 août 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Les évènements en Libye ont atteint le proverbial début de la fin mais, comme c’est souvent le cas, la vérité est qu’ils sont plus près de la fin du début. Ce n’est qu’une question de temps, de très peu de temps, avant que ne s’achève ce qui reste de l’ère du colonel Mouammar Kadhafi. Quatre décennies après son accession au pouvoir, quelques six mois après que la communauté mondiale ait décidé que Kadhafi devait partir, le régime s’effondre. Les défections se multiplient, son fils préféré est maintenant en état d’arrestation, et les rebelles sont aux portes de la capitale Tripoli.

Cette étape n’a pas été facile à atteindre, mais la partie vraiment difficile commence maintenant. C’est une chose de tuer le roi et d’éliminer l’ancien régime, c’est bien autre chose et bien plus diffcile de les remplacer par quelque chose de meilleur et de plus durable. Les rebelles – en fait un mélange disparate (le mot coalition renverrait à quelque chose de plus structuré que ce n’est le cas) d’individus et d’organisations, allant d’anciens fidèles du régime à des libéraux séculiers en passant par des islamistes – ont peu de choses en commun à part leur opposition à la perpétuation du règne de la première famille libyenne.  Maintenant que cet objectif est en passe de se réaliser, leurs désaccords pourraient bien occuper une place centrale.

Rien de tout cela n’est propre à la Libye; c’est une caractéristique des révolutions tout au long de l’histoire connue. Ce qui est aussi à peu près certain, c’est que les Libyens ne seront pas en mesure de gérer seuls la nouvelle situation qui va émerger. Le colonel Kadhafi avait fait de son mieux pour s’assurer qu’aucune institution nationale ne soit en position de défier son pouvoir ; malgré les efforts des opposants au régime pour forger un front commun, le résultat est qu’aucune institution nationale n’est prête et capable de prendre les choses en mains.
Tous ces éléments posent de sérieux défis au monde extérieur. Les avions de l’OTAN ont contribué à la victoire des rebelles. L’intervention « humanitaire » proposée pour sauver des vies qu’on pensait menacées était en fait une intervention politique mise en place pout provoquer un changement de régime.

L’OTAN doit maintenant gérer son propre succès. Une forme quelconque d’assistance international, et plus probablement une force internationale, sera sans doute nécessaire pour quelques temps afin de restaurer et de maintenir l’ordre. Les jusqueboutistes du régime devront être défaits. La guerre tribale doit être évitée. La justice, et non la vengeance, doit être à l’ordre du jour si la Libye ne doit pas en venir à ressembler à l’Irak en guerre civile de l’après Saddam, ou à sombrer dans le chaos comme la Somalie ou le Yémen qui est sur cette voie.
Il revient à l’OTAN, à l’Union Européenne et à l’ONU, en collaboration avec l’opposition libyenne, à l’Union Africaine et à la Ligue Arabe de construire ensemble une réponse à la nouvelle réalité libyenne – une réalité qui inclut 1 million de réfugiés, plusieurs centaines de milliers de civils déplacé, et un pays capable de produire quelques 2 millions de barils de pétrole par jour.

Surtout, le président US Barack Obama pourrait avoir à reconsidérer son affirmation qu’il n’y aurait pas de troupes américaines au sol; le leadership est difficile à affirmer sans participation. Mais quelle que soit la réaction internationale, sa rapidité est essentielle. La temporisation ne rendra pas les choix plus faciles ou plus agréables.

L’auteur est président du Council on Foreign Relations et auteur de War of Necessity, War of Choice: A Memoir of Two Iraq Wars’

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