lundi 5 novembre 2007

De l'USS Liberty à l'Irak, le prix à payer pour l'élection d'un président aux USA

Le texte qui suit est important car il montre comment la politique américaine au Proche-Orient a définitivement basculé en faveur de l'entitté sioniste. Et que ce basculement n'est intervenu que tardivement, à la veille même du vote onusien qui légalisa, à l'encontre des principes du droit et de la charte de l'ONU, la partition de la Palestine.
A ma connaissance ce texte n'avait pas encore été traduit en français. S'appuyant sur des sources de première main, il nous donne à comprendre que la choix définitif des Etats-Unis en faveur de la partition ne répondait pas fondamentalement à des considérations stratégiques sur la place de ce pays dans la région mais était plutôt une réponse aux problèmes conjoncturels d'un président Truman en difficulté dans son propre camp et qui s'inquiétait avant tout de sa réélection. Les conséquences structurelles de ce choix finalement conjoncturel avaient pourtant été clairement exposées au président Truman par le Département d'Etat. Truman a été réélu, mais de l'USS Liberty à l'Irak aujourd'hui les Etats-Unis et le monde n'en finissent pas de payer la facture de sa réélection.
Publié en 1994, ce texte amenait finalement aux mêmes conclusions que les réflexions actuelles sur le lobby sioniste et son rôle contraire aux intérêts fondamentaux des USA.
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Truman avait ignoré un clair avertissement du Département d'Etat contre la partition de la Palestine en 1947
Publié initialement dans le Washington Report de septembre-octobre 1994. Une version légèrement remaniée a été publiée dans Fifty Years of Israel par Donald Neff
Traduit de l'anglais par Djazaïri
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Le 22 septembre 1947, Loy Henderson avait clairement averti le Secrétaire d'Etat George C. Marshall que la partition de la Palestine en un Etat arabe et un Etat juif n'était pas faisable et provoquerait des troubles imprévisibles dans l'avenir. Henderson était Directeur du Bureau des affaires africaines et moyen-orientales au Département d'Etat et son mémorandum, qui intervenait moins d'un mois après la recommandation d'une partition par le comité spécial de l'ONU, reste une des analyses les plus clairvoyantes des risques qu'entraînerait une partition.Henderson avait informé Marshall que sa vision des choses était partagée par « presque tous les membres des affaires étrangères ou du Département qui avaient eu à travailler à un niveau appréciable sur les problèmes du Proche-Orient. » Parmi les points soulevés par Henderson :« Le plan qui a obtenu la majorité à l'UNSCOP (comité spécial de l'ONU sur la Palestine) n'est pas seulement impraticable; s'il était adopté ce serait la certitude de voir le problème de la Palestine devenir permanent encore plus compliqué à l'avenir.
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« Les propositions contenues dans le plan de l'UNSCOP non seulement ne reposent sur aucun des principes en vigueur au plan international, principes dont le maintien serait dans l'intérêt des USA, mais sont en contravention complète avec divers principes inscrits dans la charte de l'ONU ainsi qu'avec des principes sur lesquels les conceptions américaines de l'Etat sont basées.Par exemple, ces propositions ignorent des principes tels que l'auto-détermination et le pouvoir de la majorité. Elles reconnaissent le principe d'un Etat racial et théocratique et vont même, dans plusieurs cas, jusqu'à distinguer sur la base de la religion et de la race des personnes qui se trouvent hors de Palestine. Jusqu'ici, notre diplomatie a toujours soutenu que les ressortissants Américains, sans distinction de race ou de religion, avaient droit à un traitement uniforme. L'accent porté sur le fait que des personnes soient juives ou non-juives renforcera à coup sûr aussi bien chez les Juifs et les Gentils aux USA comme à l'étranger, le sentiment que les citoyens Juifs sont différents des autres citoyens.
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« Nous n'avons aucune obligation envers les Juifs d'établir un Etat juif. La déclaration Balfour et le Mandat [britannique sur la Palestine] visait non à l'instauration d'un Etat juif mais d'un foyer national juif. Ni les USA, ni le gouvernement britannique n'ont jamais interprété l'expression 'foyer national juif' au sens d'Etat national juif. »Malgré l'alignement du Département d'Etat sur les positions de Henderson opposées à la partition, la Maison Blanche et Harry Truman étaient en faveur de la partition en raison de fortes pressions politiques. Truman était si impopulaire à l'époque qu'on spéculait sur sa capacité à obtenir l'investiture du Parti Démocrate et encore plus à gagner la compétition présidentielle. Alors que le vote de l'assemblée générale de l'ONU se rapprochait, Henderson fit une autre tentative pour faire changer Truman d'opinion. Le 24 novembre, il écrivait : « Je considère encore comme de mon devoir de qu'il me semble, à moi comme à tous les membres de mon service en connaissance du Proche-orient, que la politique que nous poursuivons actuellement à New York en ce moment est contraire aux intérêts des USA et nous plongera en fin de compte dans des difficultés si graves que la réaction à travers le monde, comme dans notre pays, sera très forte. »Il poursuivait : « Je me demande si le Président réalise que le plan que nous soutenons pour la Palestine laisse le maintien de l'ordre en Palestine aux seules services de sécurité locaux. Il est suffisamment évident qu'une violence de grande ampleur se déclenchera dans ce pays à laquelle les autorités locales seront incapables de faire face... Il me semble que nous devrions réfléchir à deux fois avant d'apporter notre appui à tout plan qui se traduirait par l'envoi de troupes américaines en Palestine. »Le sous-Secrétaire d'Etat Robert A. Lovett avait été si impressionné par ce mémo qu'il en fit lecture au Président Truman. Mais Truman, soucieux de sa campagne électorale de l'année suivante et pressé par des conseillers comme Clark Clifford d'adopter la partition comme moyen de s'assurer le soutien Juif, ignora les avertissements de Henderson. Cinq jours plus tard, les USA votaient la partition dans cette session historique de l'Assemblée Générale.Comme les mois passaient et que la Palestine sombrait dans le chaos et la violence prédits par Henderson et le Département d'Etat, Truman ne pouvait plus longtemps ignorer le fait que la partition avait provoqué un bain de sang massif. George Kenan, le directeur de la planification politique au Département d'Etat avertissait le 24 février 1948, que la violence en Palestine ne pouvait être arrêtée que par l'introduction de troupes étrangères. Il pressait les USA de ne pas se laisser entraîner dans ce bourbier.
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De lourdes responsabilités
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Les pressions que subit actuellement ce gouvernement nous poussent vers une position qui nous amènera à assumer une lourde responsabilité pour le maintien et même l'expansion d'un Etat juif en Palestine... Si nous n'effectuons pas un revirement assez radical par rapport aux orientations suivies jusqu'à présent, nous finirons soit par nous retrouver responsables militairement de la protection de la population juive de Palestine contre l'hostilité déclarée du Monde Arabe, soit par partager cette responsabilité avec les Russes et donc les aider à s'établir comme une des puissances militaires dans la région. Des points de vue similaires avaient été exprimés par la CIA et le Département de la Défense.Malgré ces graves motifs d'inquiétude, Clifford avait continué à presser Truman de garder son soutien à la partition.
Dans un mémo du 6 mars, Clifford plaidait que si les USA abandonnaient ce plan maintenant la conséquence en serait que « ... les Etats-Unis apparaîtraient dans la posture ridicule d'être effrayés devant les menaces de quelques tribus nomades du désert... les Arabes ont plus besoin de nous que nous n'avons besoin d'eux. Sans les royalties du pétrole ils vont à la faillite. » Le message implicite était que les Juifs étaient plus importants que les Arabes pour l'élection de Truman. Comme Truman l'avait dit lui-même : « Je suis désolé messieurs, mais je dois une réponse aux centaines de milliers de personnes qui espèrent ardemment le succès du sionisme. Je n'ai pas des centaines de milliers d'Arabes parmi mes électeurs. »
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A cette époque, Arabes et Juifs s'entre-tuaient quotidiennement. Les forces juives se renforçaient et étaient sur le point de lancer des attaques importantes à l'extérieur des limites définies par l'ONU pour l'Etat juif. Des dizaines de milliers de Palestiniens étaient déjà devenus des réfugiés, augurant de la tragédie qui ferait que très vite plus de la moitié de l'ensemble des Palestiniens perdraient leurs foyers. Les horreurs qui se passaient en Palestine ne pouvaient pas être ignorées. Le 19 mars, Truman renonçait à la partition. Les USA annoncèrent au Conseil de Sécurité de l'ONU que l'Amérique pensait que la partition était infaisable et qu'une supervision onusienne devait être installée pour se substituer aux Britanniques au terme de leur retrait de Palestine le 14 mai.
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La réaction dans la presse et la communauté juive fut cinglante. Les unes titraient : « Faiblesse, » « Indécision, » « Perte du prestige américain. » Depuis Jérusalem, le consul Américain rapportait : « La réaction juive... est la consternation, la désillusion, le désespoir et la détermination. La plupart des gens pense que les USA ont trahi les Juifs par intérêt pour le pétrole du Moyen-Orient et par crainte des visées russes. » Truman tenta de faire porter le chapeau au Département d'Etat en affirmant qu'il avait agi sans son approbation. Il est pourtant clair qu'il avait personnellement donné son aval au changement de stratégie.
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En fin de compte, Truman regagna l'appui juif deux mois plus tard en ignorant la ferme opposition du Département d'Etat et fit des USA la première nation à reconnaître Israël comme un Etat indépendant le 14 mai. La décision de Truman avait suscité tant de dégoût chez le Secrétaire d'Etat Marshall que ce dernier dit en face à Truman qu'il considérait que le président agissait sur la base des calculs de Clifford pour s'assurer le soutien juif et d'ajouter : « J'ai dit franchement que si le Président devait suivre le conseil de M. Clifford et si je devais voter aux élections, je voterais contre le Président ». Le 2 novembre Truman battait Thomas E. Dewey à l'élection présidentielle.
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Lectures conseillées:
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Donovan, Robert J., Conflict and Crisis: The Presidency of Harry S. Truman, 1945-1948, New York,
W.W. Norton, 1977.Grose, Peter, Israel in the Mind of America, New York, Alfred A. Knopf, 1983.
Khouri, Fred J., The Arab-Israeli Dilemma, Syracuse, NY, Syracuse University Press, third edition, 1985.
Laqueur, Walter and Barry Rubin (eds.), The Israel-Arab Reader (revised and updated), New York, Penguin Books, 1987.
Mallison, Thomas and Sally V., The Palestine Problem in International Law and World Order, London, Longman Group Ltd., 1986.Rearden,
Steven L., History of the Office of the Secretary of State: The Formative Years?1947-1950, Washington, DC, Historical Office, Office of the Secretary of Defense, 1984.
U.S. Department of State, Foreign Relations of the United States 1947 (vol. 5), The Near East and Africa, Washington, DC, U.S. Printing Office, 1971.
U.S. Department of State, Foreign Relations of the United States 1948 (vol. 5), The Near East, South Asia, and Africa, Washington, DC, U.S. Printing Office, 1975.
Wilson, Evan M., Decision on Palestine: How the U.S. Came to Recognize Israel, Stanford, CA, Hoover Institution Press, 1979.
Notes:Foreign Relations of the United States (hereafter referred to as FRUS), “The Director of the Office of Near Eastern and African Affairs (Henderson) to the Secretary of State,” Sept. 22, 1947. Text is also in Wilson, Decision on Palestine, pp. 117-21.

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