dimanche 24 septembre 2006

Le choc du siècle : civilisa-sionisme contre "barbarie" "islamique"

Jonathan Cook n'est pas n'importe qui. C'est un journaliste Anglais indépendant qui a fait deux choix importants. Tout d'abord il se veut journaliste indépendant, "freelance," c'est-à-dire qu'il ne dépend pas d'un seul organe de presse mais qu'il apporte des contributions à des media aussi différents que le Times de Londres, le Monde diplomatique, le Daily Star de Beyrouth ou encore Counter Punch, un excellent magazine politique publié aux USA et dont provient l'article ci-dessous. Son autre choix est de vivre sur les lieux où se passe l'actualité qu'il relate et analyse. Sur les lieux signifie aussi ailleurs que dans la bulle dont se contentent souvent les journalistes présents en palestine occupée : Jonathan Cook n'est installé ni à Jérusalem ni à Tel Aviv mais à Nazareth, ville palestinienne incluse dans l'Etat sioniste.
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Dans cet article au titre explicite, J. Cook explique comment la machine de probagande sioniste a pu vendre ce choc des civilisations qui ménera peut-être à une guerre contre l'Iran et peut-être à d'autres guerres contre d'autres pays musulmans sans parler de toutes les luttes intestines et autres forces centrifuges que l'Occident civilisé et "judéo-chrétien" (judéo-chrétien c'est vraiment un comble, une contradiction dans les termes) ne manquera pas d'attiser.
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Comment Israël orchestre le « choc des civilisations »
par JONATHAN COOK , traduit de l'anglais par Djazaïri

Le cheminement d'une longue campagne qui a abouti ce mois-ci au ridicule rapport parlementaire, impliquant tous les partis, sur l'antisémitisme au Royaume-Uni peut être rattaché à l'intense lobbying du gouvernement israélien lancé quatre ans plus tôt, début 2002.
A cette époque, Ariel Sharon qui taillait en pièces le peu qui subsistait des accords d'Oslo en réoccupant les villes de Cisjordanie sous contrôle de l'Autorité palestinienne par une opération destructrice bâptisée Bouclier Défensif, enrôla les media israéliens dans son combat, La presse locale se mit alors à mettre continuellement en avant des inquiétudes sur la montée d'un « nouvel anti-sémitisme », thématique reprise rapidement et de manière enthousiaste par le puissant lobby sioniste aux USA.
Ce n'était certes pas la première fois qu'Israël faisait appel au soutien de ses fidèles aux USA. Dans « Beyond Chutzpah,» Norman Finkelstein documente l'apparition d'assertions sur l'existence d'un nouvel antisémitisme qu'il met en relation avec la médiocre performance d'israêl pendant la guerre d'octobre 1973. L'idée était alors que l'accusation d'antisémitisme pouvait être utilisée contre ceux qui critiquaient israël afin de réduire les pressions visant à la restitution du Sinaî à l'egypte et à l'ouverture de négociations avec les Palestiniens.
Israêl avertit l'opinion mondiale d'une nouvelle vague d'antisémitisme au début des années 80, au moment justement où il fit l'objet de critiques sans précédent à cause de l'invasion et de l'occupation du Liban. Ce qui distinguait le nouvel antisémistisme du racisme traditionnel anti-Juif du type de celui qui avait abouti aux camps de la mort en Allemagne, était, selon ceux qui le mettaient en avant, que cette fois il caractérisait plus la gauche progressiste que l'extrême droite.
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Les dernières assertions sur un nouvel antisémitisme ont pris corps au printemps 2002 sur le site anglophone du quotidien libéral israélien Haaretz qui mit en ligne pendant des mois un supplément spécial sur le « Nouvel antisémitisme, » prévenant que la « haine ancestrale » connaissait un renouveau aux USA et en Europe. Ce refrain devait être vite repris par le Jerusalem Post, quotidien anglophone de droite régulièrement mobilisé par les pouvoirs israéliens pour s'assurer du soutien de leurs politiques chez les Juifs de la Diaspora.
Les soutiens d'israël affirment qu'à l'instar de ses précurseurs, la dernière vague d'antisémistisme est à mettre au débit des mouvements progressistes occidentaux – tout en ajoutant un élément nouveau. Un antisémitisme Occidental omniprésent mais en grande partie latent était revivifié par l'influence politique et intellectuelle croissante d'immigrés Musulmans extrémistes. Le sous-entendu étant qu'une alliance contre nature s'était nouée entre la Gauche et l'islam militant.
Ce genre de conceptions a d'abord été formulé en novembre 2002 par des membres importants du cabinet Sharon dans le Jerusalem post où, par exemple, Binyamin Netanyahu avertissait que cet antisémistisme latent se réactivait :
« De mon point de vue, de nombreux Européens s'opposent à l'antisémitisme et de nombreux gouvernements et responsables s'y opposent également, mais les germes [de l'antisémitisme] sont présents. Dire qu'ils n'existent pas revient à ignorer la réalité.Ces germes ont été repris et stimulés ouvertement par la force antisémite la plus puissante qui est l'antisémitisme islamique de certaines minorités musulmanes en Europe. Cet antisémitisme est souvent déguisé en antisionisme. »
Netanyahu proposait de « crever l'abcès » en initiant une campagne agressive de relations publiques « d'auto-défense. » Un mois plus tard, Moshe Katsav, le président israélien, choisissait la plus sensible des cibles, en prévenant au cous d'une visite officielle que la lutte contre l'antisémitisme devait commencer en Allemagne, pays où « on entend la voix de l'antisémitisme. »
Mais, comme toujours, la principale cible de la nouvelle campagne contre l'antisémitisme étaient les USA, le généreux parrain d'israël. Là-bas, les membres du lobby israélien se transformaient à l'unisson en prophètes de malheur.
Au début de la campagne, les motivations réelles du lobby ne furent pas divulguées : mettre sous éteignoir un débat qui en était à ses tout débuts dans la société civile US, particulièrement dans les églises et les universités, sur le désinvestissement – le retrait de capitaux non négligeables – d'Israêl en réponse à l'opération Bouclier Défensif.
En octobre 2002, après la réoccupation effective de la Cisjordanie par Israël, lAbraham Foxman, l'inusable président de l'Anti-Defamation League [équivalent de la LICRA, ndt] classa ceux qui appelaient au désinvestissement en Israêl avec les nouveaux antisémites, Il appela un nouvel organisme institué par le gouvernement israélien, le Forum de Coordination de la Lutte contre l'Antisémitisme à énoncer clairement ce que « Nous savons dans nos tripes : quand la ligne rouge [de l'antisémitisme] est franchie. »
Deux semaines plus tard, Foxman allait plus loin, avertissant que les Juifs n'avaient jamais été aussi vulnérables depuis le 2nde guerre mondiale. « Dans toute ma vie, je n'aurais jamais cru pouvoit être aussi préoccupé que nous le sommes aujourd'hui, ou que nous aurions à faire face à l'antisémitisme auquel nous sommes confrontés » déclarait-il au Jerusalem Post.
Faisant écho aux avertissements de Netanyahu, Foxman ajoutait que l'extension rapide du nouvel antisémitisme avait été rendu possible par la révolution des télécommunications, principalement internet, qui permettait aux musulmans de diffuser en quelques secondes leurs messages haineux dans le monde, contaminant des gens tout autour du globe.
Il est clair aujourd'hui qu'israël et ses soutiens avaient trois objectifs principaux en tête quand ils ont commencé leur campagne. Deux d'entre eux apparaissaient déjà dans les tentatives précédentes de mettre en exergue le « nouvel antisémitisme. » Le troisième était une nouveauté.
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Le premier objectif, certainement le mieux perçu, était de faire taire toute critique contre israêl, particulièrement aux USA. Courant 2003, il est devenu de plus en plus évident pour des journalistes comme moi-même, que les media US, puis bientôt une grande partie des media européens, étaient de plus en plus réservés à l'idée de publier les critiques même modérées d'Israël qu'ils s'autorisaient d'ordinaire. Dans le même temps, printemps 2003, Israël commençait à accélérer la construction de son mur monstrueux à travers le Cisjordanie, et les rédactions répugnaient à s'atteler à ce dossier.
Le silence du quatrième pouvoir s'est accompagné de celui de nombreuses voix progressistes dans nos universités et églises. Le désinvestissement ne figurait plus sur l'agenda. Des organisations maccarthystes comme campus Watch contribuaient à assurer le règne de l'intimidation. Des universitaires comme joseph Massad qui campaient sur leurs positions s'attirèrent l'attention vindicative de nouvelles organisations activistes comme le David project.
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Moins remarqué, un second objectif était d'éviter toute diminution de la population juive en Israël qui aurait profité aux palestiniens dans la mesure où les deux groupes ethniques appprochaient de la parité dans la zone que les israéliens appellent le Grand israël et las palestiniens la palestine historique. La démographie obsède depuis longtemps le mouvement sioniste : pendant la guerre de 1948, l'armée israélienne avait contraint à la fuite, par la terreur ou par la force, 80 % des Palestiniens qui vivaient dans les frontières de ce qui allait devenir israël de sorte à assurer sa nature d'Etat juif.
Mais, après l'occupation par Israël de gaza et de la Cisjordanie en 1967, et la croissance rapide des populations palestiniennes dominées, aussi bien dans les territoires occupés qu'à l'intérieur d'israël, la démographie est revenue au premier rang des priorités politiques d'israël.
Pendant la deuxième Intifada, devant la réplique palestinienne à la machine de guerre israélienne par des vagues d'attentats suicides contre des bus dans les grandes villes israéliennes, le gouvernement Sharon s'inquiéta de ce que des Juifs israéliens aisés pourraient se mettre à envisager que l'Europe ou les USA proposent un avenir plus sûr que Jérusalem ou Tel Aviv. L'émigration de Juifs israéliens risquait de conduire à la perte de la bataille démographique.
En suggérant que l'Europe tout particulièrement était devenue un repaire de l'islamisme fondamentaliste, on espérait que les Juifs israéliens, qui sont nombreux à posséder plus d'un passeport, auraient peur d'émigrer. Un sondage réalisé par l'Agence Juive en mai 2002 montrait que 84 % des Israéliens croyaient que l'antisémitisme était redevenu une menace sérieuse pour les Juifs du monde entier.
A la même époque les responsables israéliens centraient leur attention sur le Royaume-Uni et la France, deux Etats européens qui comportent les plus importantes populations juives et ont également des communautés musulmanes immigrées d'importance significative. Ils mettaient en avant un supposé regain d'antisémitisme dans ces deux pays dans l'espoir d'attirer leurs populations juives en Israël.
En France, d'étranges agressions antisémites ont bénéficié d'une large couverture médiatique depuis celle d'un rabbin qui avait été molesté (par lui-même comme on l'a découvert par la suite) à celle d'une jeune femme juive attaquée dans un train par des voyous antisémites (même si elle n'était pas juive comme on l'a su par la suite).
Sharon profita du climat de peur fabriqué en juillet 2004 pour affirmer que la france était la proie de « l'antisémitisme le plus barbare, » et enjoindre les Juifs Français de venir en Israël.
Le troisième objectif était inédit. Il reliait la montée d'un nouvel antisémitisme à celle du fondamentalisme islamique en Occident, impliquant que les extrémistes musulmans exerçaient un contrôle idéologique sur la pensée occidentale. Il collait bien à l'ambiance de l'après 11 septembre.
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Dans cette veine, des universitaires Juifs Américains comme David Goldhagen caractérisèrent l'antisémitisme comme en constante « évolution. » Dans un article intitulé « la globalisation de l'antisémitisme » publié dans l'hebdomadaire juif américain Forward en mai 2003, Goldhagen affirmait que l'Europe avait exporté son antisémitisme classique dans le monde arabe qui, en retour, réinfectait l'occident.
« Les pays arabes ont alors réexporté vers l'Europe cette nouvelle démonologie hybride et, en utilisant l'ONU et d'autres institutions internationales vers d'autres parties du monde. En Allemagne, en France, au Royaume-Uni et ailleurs, la forte agitation et l'expression antisémites utilisent les vieux stéréotypes appliqués autrefois aux Juifs locaux – accusation de semer le désordre, de vouloir dominer les autres – avec un nouveau contenu massivement dirigé contre les Juifs hors de leurs pays. »
Cette théorie de la contagion débridée » de la haine anti-juive diffusée par les Arabes et leurs sympathisants à travers Internet, les media et les organisations internationales a trouvé beaucoup de partisans. La journaliste néo conservatrice britannique Melanie Philips a prétendu d'une manière familière qui confine au ridicule que l'identité britannique était subvertie et marginalisée par une identité islamique qui transformait son pays en capitale du terrorisme, le « Londonistan. »
Ce dernier objectif des tenants du « nouvel antisémitisme » a rencontré un tel succès parce qu'il pouvait facilement s'emboîter avec d'autres thèmes associés avec le guerre américaine contre le terrorisme, tel le choc des civilisations. Si c'était « Eux » contre « Nous » alors le nouvel antisémitisme posait dès le départ que les Juifs étaient du côté des bons. Il incombait è l'Occident chrétien de décider de pactiser soit avec le bien (le judaîsme, Israêl, la civilisation) ou avec le mal 'l'Islam, Oussama ben laden, le Londonistan).
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Nous ne sommes pas encore au bout de ce chemin piégé; à la fois parce que la Maison Blanche est en panne d'initiatives politiques en dehors de sa guerre au terrorisme et parce que la place d'Israël est pour l'heure bien établie dans l'agenda des néoconservateurs de l'administration US.
Cette évidence est ressortie clairement la semaine dernière quand Netanyahu, le politicien israélien le plus populaire, a rajouté une couche au bêtisier mortel de la machine de propagande néoconservatrice qui passe à la vitesse supérieure pour la confrontation avec l'iran et ses projets nucléaires. Netanyahu a comparé l'Iran et son président Mahmoud Ahmadinejad à Adolf Hitler.
« Hitler s'était d'abord lancé dans une campagne militaire mondiale avant d'essayer d'obtenir des armes atomiques. L'Iran essaye d'abord d'obtenir des armes nucléaires. Vu sous cet angle, il est donc plus dangereux, » a déclaré Netanyahu aux responsables israéliens de l'anti-terrorisme.
L'allusion de Netanyahu était transparente : l'Iran veut une autre solution finale qui cible israël aussi bien que les Juifs dans leur ensemble. L'heure de vérité est toute proche selon Tzipi Livni, ministre israélienne des affaires étrangères qui prétend contre toute évidence que l'iran n'est qu'à quelques mois de la possession d'armes atomiques.
Netanyahu a ajouté que l'expression « terrorisme international était inadéquate » non parce qu'il n'existe pas mais parce que le problème est le militantisme islamique international. C'est ce mouvement qui pratique le terrorisme à l'échelle internationale, et c'est ce mouvement qui prépare sa phase ultime, le terrorisme nucléaire. »
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Face aux projets diaboliques des « fascistes islamiques, » comme ceux de l'Iran, l'arsenal atomique israélien – et l'Holocauste nucléaire qu'Israël est capable et semble prêt à provoquer – peut être présenté comme le rempart du monde civilisé.

L'écrivain et journaliste jonathan Cook est établi à Nazareth en Palestine. Il est l'auteur du livre "Blood and Religion: The Unmasking of the Jewish and Democratic State" qui sera publié par Pluto Press et diffusé aux USA par les Michigan University Press. Son site web : www.jkcook.net

3 commentaires:

  1. Ces deux articles sont très intéressants, les publier aussi !

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  2. Précisez moi de quels articles il s'agit.

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  3. Article 1 : « Comment Israël orchestre le « choc des civilisations »
    par JONATHAN COOK
    Article 2 : votre traduction !
    Et bonne journée

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