samedi 9 septembre 2006

L'Auschwitz du bord de mer

Sans commentaire, ou plutôt un : quand la vie est un enfer dont on ne voit pas la fin, cette fin ne peut être que le paradis.

"Gaza est une prison. Personne ne peut en sortir. Nous avons tous faim."
par Patrick Cockburn à Gaza
The Independent (UK), 08 Septembre 2006. Traduit de l'anglais par Djazaïri
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Gaza est en train de mourir. Le blocus israélien de l'enclave palestinienne est si total que la population est au bord de la famine. Ici, au bord de la Méditerranée, une grande tragédie est en train de se dérouler, ignorée parce que l'attention du monde en a été détournée par les guerres au Liban et en Irak.
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Toute une société est en cours de destruction. Un million et demi de Palestiniens sont emprisonnés dans la zone la plus densément peuplée du monde. Israël a stoppé tous les échanges. Interdits de s'éloigner de la côte, les pêcheurs tentent vainement d'attraper du poisson avec des filets qu'ils lancent à la main depuis le rivage.
De nombreuses personnes sont tuées dans les incursions israéliennes quotidiennes par voie terrestre et aérienne. Depuis le 25 juin, 262 personnes ont été tuées et 1200 blessées, dont 60 ont eu des membres amputés indique le Dr Juma al-Saqa, Directeur de l'hôpital Shifa de Gaza qui va bientôt se trouver à court de médicaments. Parmi ces victimes; 64 enfants et 26 femmes. Ce conflit sanglant à Gaza a jusqu'à présent été loin de bénéficier de la même attention des medias que celle qu'ils ont accordée à la guerre au Liban.
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Le 25 juin, le soldat Israélien Shalit avait été capturé et deux autres soldats tués par des militants palestiniens qui avaient creusé un tunnel vers l'extérieur de la bande de Gaza. Peu après, écrit Gideon Levy dans le quotidien Haaretz, l'armée israélienne s'est déchaînée– il n'y a pas d'autre mot pour qualifier cela – sur Gaza, tuant, détruisant et bombardant de manière indiscriminée."Gaza a été de fait réoccupée dès lors que les tanks et les soldats vont et viennent à leur gré. Dans le district nord de Shajhayeh ils se sont emparés la semaine dernière de plusieurs maisons pendant cinq jours. Ils se sont retirés après avoir tué 22 Palestiniens démoli trois maisons et rasé au bulldozer des vergers d'oliviers, de citronniers et d'amandiers.
Fuad-al-Tuba, un agriculteur de 61 ans qui possédait une exploitation à cet endroit nous dit : "Ils ont même détruit 22 de mes ruches et tué quatre moutons." Il nous montre avec tristesse un champ et son sol brun sable ravagé par les chenilles des bulldozers et où les souches d'arbres et les branches cassées aux feuilles fanées gisent en tas. Tout près, une voiture jaune est renversée au milieu d'un tas de débris de béton, ce qui reste d'une petite maison.
Son fils, Baher al-Tuba, décrit comment pendant cinq jours les soldats israéliens l'ont enfermé avec sa famille dans une pièce de leur maison où ils ont survécu en buvant l'eau d'une mare. "Des tireurs d'élite avaient pris position aux fenêtres et tiraient sur quiconque approchait." dit-il. Ils ont tué Fathi Abou Gumbuz, un voisin âgé de 56 ans qui sortait simplement pour aller chercher de l'eau."
Parfois l'armée israélienne prévient avant de détruire une maison. Le son qu'appréhendent le plus les Palestiniens est celui d'une voix inconnue dans leur téléphone mobile qui leur annonce qu'ils ont une demi-heure pour quitter leur domicile avant qu'il ne soit frappé par des bombes ou des missiles. Sans aucun recours.
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Mais ce ne sont pas que les incursions israéliennes qui détruisent Gaza et sa population. Selon les termes politiquement corrects de la Banque Mondiale, la Cisjordanie et Gaza sont confrontés à "une année de récession économique sans précédent. Le revenu réel pourrait avoir diminué d'un tiers en 2006 et la pauvreté toucher près des deux tiers de la population." Ici, pauvreté veut dire un revenu journalier par habitant en dessous de 2$.
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Les signes de désespoir sont partout. La criminalité augmente. Les gens font n'importe quoi pour nourrir leurs familles. En pénétrant dans la zone industrielle de Gaza à la recherche de tunnels, les soldats israéliens en avaient chassé la police palestinienne. Quand les Israéliens sont repartis ils n'ont pas été remplacés par la police mais par des pillards. Un jour de cette semaine là, trois charrettes tractées par des ânes récupéraient la ferraille tordue des restes d'usines qui employaient auparavant des milliers de personnes.
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"C'est la pire année pour nous depuis 1948 [quand avait déferlé la première vague de réfugiés Palestiniens à Gaza]," déclare le Dr Maged Abu-Ramadan, ancien ophtalmologue et maire actuel de la ville de Gaza. "Gaza est une prison. Ni les personnes ni les biens ne sont autorisés à en sortir. Les gens ressentent déjà la faim. Ils essayent de survivre avec du pain, du felafel et les quelques concombres et tomates qu'ils cultivent eux-mêmes."
Les quelques moyens dont disposaient les Gaziotes pour gagner de l'argent ont disparu. Le Dr Abu-Ramadan explique que les Israéliens "ont détruit 70 % des orangeraies pour créer des zones de sécurité." Les oeillets et les fraises, deux des principales productions d'exportation de Gaza ont été jetés ou sont en train de pourrir. Une attaque aérienne israélienne a détruit la centrale électrique réduisant de plus de moitié l'électricité disponible. La fourniture d'électricité est devenue au moins aussi aléatoire qu'à Bagdad.
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L'agression israélienne de ces deux derniers mois a frappé une société déjà atteinte par le retrait des aides de l'Union Européenne après les élections de mars qui ont porté le Hamas à la tête du gouvernement palestinien. Israël séquestre les taxes dues sur les marchandises qui entrent à Gaza. Sous la pression US, les banques arabes à l'étranger le transfèrent plus de fonds au gouvernement.
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2/3 de la population active est sans emploi et l'autre tiers qui généralement travaille dans la fonction publique ne reçoit plus, de salaire. Gaza est maintenant, et de loin, la région méditerranéenne la plus pauvre. Le revenu par habitant est de 700$, à comparer avec les 20 000$ par habitant d'Israël. La situation est bien pire qu'au Liban où le Hezbollah indemnise largement les victimes pour leurs maisons détruites pendant la guerre. Comme si tout ça n'était pas suffisant, cette semaine ont eu lieu des grèves et des marches de protestation de soldats, policiers et membres des forces de sécurité restés sans salaire. Ces protestations ont été organisées par le Fatah, l'organisation du président palestinien Mahmoud Abbas, connu également sous le nom d'Abou Mazen, vaincu par le Hamas au cours des élections de Janvier. Ses partisans ont parcouru les rues en brandissant leurs Kalachnikovs. Ils criaient : "Abou Mazen, tu es un brave. Sauve nous du désastre." Amers, les miliciens du Hamas faisaient profil bas pendant les manifestations mais les deux camps sont tout proches de l'affrontement.
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Le siège israélien et le boycott européen sont un châtiment collectif de toute la population de Gaza. Les miliciens ne sont pas près d'être dissuadés d'agir. Alité à l'hôpital de Gaza, se trouve un jeune homme déterminé nommé Ala Hejairi, blessé au cou, aux jambes, à la poitrine et au ventre. "J'étais en train de poser une mine anti-char la semaine dernière à Shajhayeh quand j'ai été touché par les tirs d'un drone israélien," explique-t-il. "Je retournerai dans la résistance quand j'irai mieux. Pourquoi devrais-je m'inquiéter? Si je meurs, ce sera en martyr et je rejoindrai le paradis."
Adel, son père, dit sa fierté pour les actions faites par son fils et ajoute que trois de ses neveux sont déjà des martyrs. Il soutient le gouvernement Hamas ; "Les Etats arabes et occidentaux veulent abattre ce gouvernement parce que c'est le gouvernement de la résistance."
Avec l'effondrement de l'économie, de nombreux jeunes hommes de Gaza voudront prendre la place d'Ala Hejairi. Sans entraînement et mal équipés, la plupart seront tués. Mais la destruction en cours de Gaza rendra la paix impossible au Moyen-Orient pour les générations à venir.

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